Revista europea de historia de las ideas políticas y de las instituciones públicas


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Presidente del C.R.: Antonio Ortega Carrillo de Albornoz
Director: Manuel J. Peláez
Editor: Juan Carlos Martínez Coll


LE JUGE DANS LA CITÉ À TRAVERS LA PHILOSOPHIE POLITIQUE D'ARISTOTE

Stamatios TZITZIS*

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Stamatios Tzitzis (2012): “Le juge dans la cité à travers la philosophie politique d’Aristote”, en Revista europea de historia de las ideas políticas y de las instituciones públicas, n.o 4 (diciembre 2012), pp. 15-30.

RESUMEN: He querido estar presente en este homenaje al profesor Alfredo Rodr�guez-Garc�a. Partiendo de conceptos plat�nicos y aristot�licos, este trabajo se centra en el juez en la Πόλις. Plat�n conceb�a la Rep�blica como una καλλίΠολις. Arist�teles, tomando una serie de conceptos de su maestro Plat�n y tratando de conservar al mismo tiempo principios ancestrales, resulta innovador en lo que se refiere al papel del juez dentro de la Πόλις, que busca el derecho justo. Arist�teles atribuye una particular importancia a la justicia pol�tica en cuanto �sta viene a reflejar la organizaci�n de la vida social de la Πόλις. El juez no es un simple servidor de las leyes, ni est� esclavizado a la letra de la ley. El juez no pronuncia un discurso sobre la ontolog�a de la ley.

PALABRAS CLAVE: Arist�teles, Plat�n, Tuc�dides, Esquilo, S�focles, Euripides, Cicer�n, S�neca y Alfredo Rodr�guez Garc�a.

Chez Platon, la sacralité divine1 marque non seulement sa conception des lois (nomoi) mais se trouve aussi enracinée dans l’idée de droit (dikaion)2 et influe grandement sur le juge lors de sa prise de décision. Ainsi, la piété fait-elle partie intégrante de la justice qui doit régner dans la cité. Ce qui est beau (kalon) et surtout la beauté morale qui traverse le juste3 , comporte une connotation hautement religieuse 4 . Celle-ci présente les métiers du législateur et du juge comme un sacerdoce. Chez Platon, les Gardiens des lois qui assurent le respect de la vertu et de la piété collaborent étroitement avec le tribunal qui juge selon la justice et la vérité5 .
En effet, Platon conçoit sa République comme une belle cité (kalipolis)6 qui représente une cité de vertu. Elle constitue de ce fait le foyer où la piété accompagne indissociablement la justice dans chacune de ses manifestations. Ici, le juge devient l’auxiliaire de la piété qui souligne le caractère religieux du droit et des lois platoniciens. La conception de la justice et de son administration par le juge, renvoyant à une cité marquée par la présence de la Divinité7 , fait particulièrement du juge le prêtre de la morale métaphysique platonicienne. Le jugement humain cherche à rétablir l’ordre dans l’âme troublée par l’hybris, faute qui contrarie les desseins de la volonté divine. Cette conception est d’ailleurs à la base de la culture juridique des Hellènes 8.
Aristote, sans rompre avec les idées fondamentales de son maître et les usages ancestraux qui ont forgé une telle considération du juste, innove sur plusieurs chapitres, dont l’un des plus importants concerne la fonction du juge dans la cité.
Alors que Platon fonde le droit et la justice avec un regard tourné vers ce qui dépasse la finitude humaine, Aristote présente un droit dépouillé de tonalités religieuses. Il centre sa vision sur la réalité de la cité régie par une justice déployant plusieurs formes de droit.
Ce qui intéresse avant tout le Stagirite, ce sont les mouvements de l'ordre naturel des choses qui, dans leur mobilité, créent l’histoire et la culture, engendrent l’ordre et subissent le désordre. Celui-ci nécessite, en matière de morale sociale, un rétablissement selon les lois et le droit. Le dikaion (droit-juste) traduit une exigence objective, la mise en ordre des relations entre citoyens, qui ont déréglé les échanges sociaux (ceux qui ont lieu au sein de la cité). Ce qui préoccupe Aristote n’est pas la forme que revêt la justice à l’intérieur de l’homme -donc celui de l’homme juste- comme le fait son maître9 , mais ce juste qui qualifie le comportement de l’ homme, et cela en relation avec l’attribution du juste par le juge qui vise plus l’acte et non que les vertus de son auteur.
Dès lors, Aristote centre son intérêt moins sur les rapports entre justice et vérités transcendantes10 que sur la polymorphie du droit en tant que régulateur des choses de la nature dont celles qui se réalisent au sein de la cité 11. Car la cité existe par nature. Cela n’implique pas que le Philosophe s’éloigne de la justice ontologique, en optant pour une phénoménologie (avant la lettre) du juste. Il cherche plutôt le juste comme droit vivant dans la nature qui fonde à la fois la culture traditionnelle et l’actualité sociale12 . De même que l’Être se dit de plusieurs façons13 dont l’une ne contredit pas l’autre mais l’une complète l’autre ; de même la justice et le juste se disent de plusieurs façons 14. Pour le Stagirite, les manifestations du dikaion (le droit-juste) concernent surtout les formes extérieures à la subjectivité humaine et apparaissent comme phénomènes fondamentaux de la cité.
De plus, ce n’est point à la manière des Modernes15 que le Stagirite est en quête du juste16 . Il développe ses thèses à partir de l’examen des ensembles sociaux qui sont à la base de la cité. Donc, il commence très souvent par le général pour cerner l’individuel17 ; je m’en explique. La modernité inaugure une philosophie politico-juridique à partir d’hypothèses effleurant la fiction (i.e l’état de nature). Je fais allusion aux partisans des différentes conceptions du contrat social, tels Hobbes, Locke, Rousseau… Par contre, Aristote ancre sa philosophie politique dans le réel, ce qui vit et se meut : l’ordre de la cité comme faisant partie de l’ordre de la nature. Et la cité n’est pas une construction artificielle réalisée par les individus, comme le soutiennent les philosophies contractualistes, mais en tant que phénomène naturel elle précède le citoyen18 .
Dès lors, le Stagirite laisse de côte l’étude du juste comme inhérent à la nature de l’homme. Certes, il ne néglige pas la justice conçue in abstracto, mais il accorde une attention particulière à la justice politique (politikè)19 en tant qu’elle reflète l’organisation de la vie sociale de la cité. Au lieu de s’occuper d’une état de nature comme le font les partisans du contrat social, Aristote parle d’un état de justice –dikaiosynè– qui dispose de l’ordre d’une société historique et d’un juste recherché surtout dans les échanges entre citoyens. Ce juste détermine le droit dans l’histoire de la cité20 . La méthode aristotélicienne de la recherche du juste renvoie inévitablement au rôle important que joue le juge (dikastès) dans la détermination du juste, de ce droit qui se présente très souvent comme solution juste, ou juste partage dans la philosophie politique du Stagirite.

1. La décision du juge n’est que l’expression de la justice 21

Comprendre le rôle du juge dans les affaires politiques nécessite l’étude de l’architectonique juridique de la cité. En l’occurrence nous examinerons la place de la justice comme vertu envers autrui et celle du droit qui en découle ; en deuxième lieu, nous procéderons à une analyse des lois, outil précieux pour le juge dans l’exercice de son métier. L’étude de la place et de la fonction du juge dans la cité implique toute une philosophie à propos des lois et du droit qui sont tributaires des régimes politiques ainsi qu’une philosophie qui se rapporte à la structure onto-phénoménologique de la cité (polis). La culture juridique de la cité tourne autour d’une esthétique juridique qui combine la justice comme vertu, le bon et le bien.

A. L’esthétique juridique de la cité
Aristote définit la cité (polis) comme une communauté d’individus politiquement semblables en vue de mener une vie meilleure22 . Mais il ne s’agit pas d’une quelconque société d’hommes. La polis est une collectivité de citoyens, conçue selon une structure architectonique et implique une culture juridique et des institutions qui garantissent l’ordre. Quant à l’idée de politeia23 (la constitution, ou la condition des citoyens, l’ensemble des citoyens), elle représente une certaine organisation des habitants de la cité24 . Au cœur de l’activité politique trône la vertu qui implique la vertu de justice comme teleia25 : celle qui comprend les autres vertus cardinales ayant pour fin de régir l’ordre des citoyens26 . Plus encore, la justice est une vertu qui s’exerce dans un milieu social ; elle est donc une vertu sociale (koinônikè aretè) et, en tant que telle, se pratique envers autrui 27. En effet, la cité reflète une commaunuté polyvalente où s’accomplissent les échanges entre citoyens. Elle garantit la solidarité entre ses membres en tant que membres de la même famille en vue de bien vivre ensemble. Les citoyens (poilitai) doivent promouvoir l’intérêt commun qui les inclinent à se révéler comme de bons citoyens (kaloi kagathoi politai)28 . Le politique et le droit sont traversés par une dimension esthétique qui constitue un facteur non-négligeable de la morale politico-juridique. La structure sociale de la cité porte donc à assurer et à garantir une coexistence harmonieuse pour tous ceux qui l’habitent (citoyens ou pas). La justice qui doit régner partout assigne une couleur hautement morale à la vie de la cité. Dès lors, la vie de la cité doit être régie par une bonne législation (eunomia), qui contribue décisivement au bien vivre (eu zein). Celui-ci est considéré tout particulièrement comme l’accomplissement de la fin naturelle de la cité. Le bien vivre équivaut à vivre kalôs : selon la beauté morale29 .

Ainsi la justice dans la cité est associée à l’esthétique du bien car le bien, en tant qu’objet de la vertu, est aussi beau (kalon). Or le bon ordre (eutaxia) qui suppose le bien, le bon et le juste, témoigne d’une législation qui vise l’harmonie des choses publiques et la paix entre citoyens. La législation incarne le bon ordre même ; chaque loi (nomos) représente un certain ordre30 . Il s’ensuit que vivre selon la vertu politique équivaut à vivre selon la justice qui atteste le règne de l’harmonie dans la cité et l’équilibre entre ses différentes parties. La meilleure façon de vivre est alors de mener une vie vertueuse31 . Car c’est la vie selon la vertu qui fait naître le bonheur (eudaimonia) 32. Autrement dit, le bonheur est engendrée par la pratique de la vertu.
Pour Aristote, l’idée de vertu 33 se conçoit et se réalise dans l’action 34 poursuivant un bel exploit. Elle relève de la praxéologie. Elle certifie une réussite en incitant le citoyen à accomplir une chose belle et difficile qui, de cette manière, le fait se distinguer des autres citoyens. Elle est donc animée par la noblesse d’âme. La vertu n’a pas un caractère intellectualiste. Elle contribue à l’accomplissement de la nature, rendant le citoyen kalon kagathon politèn. Dès lors, elle est étroitement associée à la loi. Le chef de la cité doit posséder la vertu pour encourager les citoyens à pratiquer l’art politique 35 qui vise à rendre le citoyen bon. Il ne serait pas inexact de soutenir que la vertu, en tant que vertu politique, tient tout un premier rôle dans la philosophie politique du Stagirite. Souligons que l’idée de vertu est adaptée au régime politique qui règne dans chaque cité particulière comme le font les lois qui soutiennent cette dernière36 . C’est pourquoi, il y a plusieurs types de lois auxquelles le juge se rapporte pour prononcer sa décision, c’est-à-dire pour chercher la solution juste en cas de litige. Aristote attache une attention particulière à l’analyse des lois qui aident le juge à prononcer sa sentence. Le droit (dikaion), décrit comme une acte ou un comportement juste dont disposent les lois, est prononcé par le juge comme faisant partie de la solution juste. Car les lois ne sont pas dépositaires exclusives du droit mais en représentent une partie.
B. Une typologie des lois. Les juges et les lois
Aristote présente une typologie significative des lois dans La Rhétorique. Il se rapporte également à des différentes sortes de lois dans ses Ethiques 37 (L’Ethique à Eudème, La Grande Morale et surtout l’Ethique à Nicomaque qui constitue un texte essentiel pour le développement de notre étude) ainsi que dans La Politique. Car la notion de loi est assez complexe. Il est important de retenir que la loi exprime une idée de droit générale, morale et traditionnelle, qui s’adresse à la raison (logos) du juge lors de sa prise de décision. Même si, chez Aristote, la conception de la loi n’est pas toujours identique dans ses différents traités, elle représente certainement un outil précieux pour le juge en vue d’appréhender une idée globale du juste qu’il cherche à déterminer. Car la loi, contrairement aux positions entretenues par le légalisme moderne, se révèle comme un identifiant de la justice qui doit régner en tant que vertu parfaite dans l’ordre de la cité. Concernant l’importance qu’a l’examen du juste par rapport à autrui (l’altérité citoyenne), cette altérité révèle l’intention du Stagirite d’associer ses développements sur le droit à la réalité sociale de la cité, tout en conservant la conception traditionnelle de la vertu de justice. Ainsi, sans tomber dans une ontologie juridique semblable à celle de Platon et sans confondre morale et droit, Aristote conserve dans sa philosophie du droit le fondement éthique de la justice traditionnelle.

Or, le Stagirite propose une typologie des lois qui lient le comportement des citoyens aux vertus et aux valeurs de la cité. Ici, Aristote examine plus spécialement les habitus de l’agent qui commet les actes injustes envers autrui38 . Il étudie dès lors le juste et l’injuste de deux manières, relativement tant aux lois qu’aux hommes39 .
Aristote opère une différence fondamentale entre la loi particulière (idion) et la loi commune (koinon) 40. La première est une loi écrite dont se sert chaque peuple (hekastois) et notamment les membres de la cité pour organiser leur vie dans l’ordre de la cité et participer, de ce fait, aux affaires publiques (politeuvondai)41 , alors que la loi commune (le koinos nomos) s’intéresse de façons générale aux actions justes et injustes 42. Cette dernière est pour les Hellènes une loi qui comprend les principes de droit que tous les Grecs semblent adopter ; loi admise par tous, elle dépasse même les frontières de la cité comme étant une loi conforme à la nature 43. Ces sortes de lois servent de point de repère du droit, de ce qui est juste et injuste et que le juge doit identifier pour prendre sa décision. Ce qui révèle d’ailleurs la place importante qu’occupe la prudence judiciaire dans la philosophie du droit chez le Stagirite.
La loi particulière est tributaire de la constitution d’une polis. La loi particulière écrite reflète les vertus qu’un gouvernement (politeuvma) promeut et les valeurs politiques qui aident le juge à clarifier le juste demandé par cette loi. Le terme politeuvontai confirme notre interprétation : la loi est exercée dans le cadre de la cité pour l’administration du droit politique 44. En revanche, le koinos nomos dépasse l’ordre d’une cité particulière et de ses idéaux, renvoyant notamment aux nomima, principes de droit, qui sont communs aux Hellènes, consacrés par la culture traditionnelle de l’Hellade tout entière.
Il s’agit par exemple des lois dont parle Antigone45 dans la tragédie homonyme de Sophocle, au nom desquelles l’héroïne a désobéi aux décrets-lois de Créon46 . Aristote, citant le cas d’Antigone, fait entendre que ces nomima concernent fondamentalement le monde hellénique, beaucoup moins le monde des Barbares. En effet, les koinoi nomoi désignent très souvent les patrôa47 , lois des ancêtres48 , réceptacles de sagesse des temps anciens et servent d’indicateurs précieux aux Hellènes de ce qui est juste. Toutefois, la loi commune qualifiée par Aristote de naturelle concerne l’humanité tout entière 49.
Comme lois panhelléniques, les koinoi nomoi sont celles qui ont survécues par leur transmission souvent orale, grâce à l’importance de leur poids juridique. Bien qu’elles représentent des indices de droit adressés à tous les Hellènes mêmes de régimes politiques différents, ces lois communes forment des vecteurs stables de droit, constituant ainsi l’ossature de la culture juridique panhellénique. Ce sont des principes de justice qui s’adressent aux citoyens grecs en leur rappelant les obligations à accomplir selon leurs coutumes ancestrales et possèdent une véritable force de loi. Tel est le cas de la loi qui prescrit l’enterrement des morts50 , le droit d’hospitalité ou bien la loi qui commande le respect des parents51 . Il est important de noter que ces lois prescrivent un juste qui s’adresse à chaque homme juste ou injuste. Donc, elles ne visent pas l’intention d’agir, mais prescrivent un comportement conforme à la justice traditionnelle. En l’occurrence, le juge doit vérifier, lors de sa prise de décision, si la conduite de chaque citoyen est objectivement conforme aux prescriptions de ces lois.
Ensuite, le Stagirite se centre davantage sur les actes justes et injustes (dont les uns sont inscrits dans la loi, les autres non)52 . Etudiant ceux dont les lois ne donnent pas les détails, le Stagirite les divisent en deux catégories. La première concerne les actes qui se démarquent par rapport à la conception traditionnelle de la vertu et du vice. Il juridicise ainsi le « trop » d’un comportement, ce trop dont les formes ne sont précisées mais qui dépasse le convenable (ce qui doit être fait sans par excès de vertu ni de vice kath’hyperbolèn53 ). Ici la loi se rapporte à tout ce qui est démesuré. Or ses idées font appel à une esthétique de droit qui situe le juste dans l’univers des proportions et des symétries impliquées par l’idée de mesure, si chère aux Hellènes.
Cette sorte de lois manifeste un ordre général de justice. La justice dit Aristote est là où se trouvent les lois et on ne saurait concevoir un ordre de droit sans liens avec la loi 54. La loi incarne le droit mais le droit dépasse la loi. Aristote affirme que tout ce qui est légal constitue une forme de droit55 .
La loi est dès lors au service de la justice. Celle-là représente un moment de la réalité sociale, justice figée dans la parole orale (comme loi non-écrite) ou dans la parole posée (comme loi écrite). La réalité sociale est changeante, donc variable et suit la mobilité des choses de la nature, cette nature où tout s'écoule comme en témoigne Héraclite 56. La loi devient normalement un point de référence pour le juge dans sa quête du droit, point de référence, il faut le souligner, qui n’est pas exclusif pour déterminer le dikaion.
Il s’ensuit que le rapport à la loi comme référent de juste, révèle un droit qui, au-delà de sa polymorphie, et contrairement au caractère stable de la loi, est fluide et variable car il fait partie de la nature des choses, ce qui devient un objet de recherche détaillée dans l’Ethique à Nicomaque. Le droit se trouve dans les choses mêmes ; donc son application dépend des différentes constitutions qui régissent chaque cité. Si les lois forment le lit de la justice d’où celle-ci tire ses modes d’être et sa mesure, le droit est formulé par le juge selon les valeurs et les idéaux que mettent en exergue les différents régimes politiques. Le droit reflète donc la réalité sociale, droit dont le juge est un des principaux acteurs. Le juge est alors invité à éclairer le juste contenu dans les lois lorsque l’obscurité s’y installe. Sa décision doit constituer un discours argumentatif autour de la pertinence et de l’effectivité du droit qu’il recherche dans les lois pour préciser le droit dans chaque cas qui lui est confié. Autrement dit, le juge ne cherche pas tellement dans les lois les relations morales qui unissent les citoyens entre eux et la répercussion de leurs effets sur les affaires de la cité, mais il examine, à leur lumière, le comportement des citoyens vis-à-vis de leurs revendications. Mais si ce droit, grâce à l’art du juge, peut déborder les limites des lois, pour actualiser juridiquement la réalité sociale, les lois assignent un sens juridico-éthique aux faits. En effet, la justice légale s’adresse aux citoyens qui se manifestent dans le champ éthique d’un juste circonscrit par les lois. En d’autres termes, dans La Rhétorique, le Stagirite s'efforce de décrire la polymorphie des lois et de préciser le droit comme action ou comportement juste que ces lois préconisent57 . La deuxième espèce d’actes justes et injustes répond à une lacune de la loi particulière, écrite58 . Il se peut en effet que la loi ait des lacunes et ne puisse pas prévoir les mutations des affaires politiques qu’elle doit régler ainsi que les nouvelles formes que revêtent les biens qui intéressent juridiquement la cité. Car la loi, même si elle suit les finalités du régime politique en place, étant figée, ne saurait s’adapter continuellement aux évolutions sociales de la cité. Les lacunes des lois ne sont guère envisageables dans la culture juridique des Hellènes. Car, chez eux, le droit est, répétons-le, de tradition orale. La loi sert alors de critère à la prudence du juge pour la fixation du droit dans les cas particuliers. Dans ce contexte, le juge grec (dikastès) n’est pas tenu au formalisme juridique comme doit le faire le juge d’aujourd’hui. Sa fonction consiste à repérer le champ éthique de la loi pour rendre une sentence juste. Il représente l’agent légitime qui dit le juste ; car, lorsque ce juste n’est pas évident à déterminer, il incombe au juge, comme le tiers impartial, de le faire. Le droit a son lit dans la loi mais il est formulé par la parole d’un homme désintéressé.
Le dikastès doit plus spécialement se comporter en artiste. Il doit dépasser, par des considérations particulières, les écueils du strict légalisme, en formant, pour prendre sa décision, une opinion, la meilleure (gnome te ariste)59 . Ici Aristote apporte des nuances afin d’éclairer le contenu de cette formule. L’opinion la meilleure renvoie à une loi commune. Le juge ressemble à « un essayeur d’argent, qu’il a pour mission de discerner le juste de mauvais aloi du juste véritable »60 . Il faut donc qu’il s’attache moins aux lois écrites qu’aux lois non écrites. Car le juste est vrai et utile; ce que la loi commune représente61 . Et ce juste dépasse la lettre de la loi. C’est pourquoi l’opinion la meilleure (la plus juste) signifie que le juge ne doit pas s’en tenir à la rigueur des lois écrites 62. Aristote associe ainsi l’opinion la meilleure non seulement à la loi commune mais aussi à l’équitable63 (dont nous parlerons dans la suite). Enfin, le juge peut appliquer également l’opinion la meilleure en cas de loi écrite, car le but de cette dernière n’est pas de rendre la sentence du juge contraire à la loi mais «de justifier le juge du parjure, s’il ignore ce que veut dire la loi »64 . L’opinion la meilleure n’est pas sans affinités avec l’opinion la plus juste (gnome dikaiotate) selon laquelle les héliastes à Athènes devraient juger; peu importait qu’il y ait des lois écrites ou non car ils étaient tenus de juger selon les lois de leur cité 65. Le jugement selon l’opinion la plus juste (qui implique la meilleure) traduit à notre avis la technè (l’art) du juge dans sa tâche de réaliser un juste partage ou de trouver la solution juridiquement la plus convenable, d’après les données qui assurent l’harmonie politique.
2. Aller devant le juge, c’est se rendre à ce qui est juste66

La métier du juge comme artiste apparaît avec plus de netteté dans l’Ethique à Nicomaque lorsqu’il doit, avec l’aide de la méthode dialectique et l’application de sa prudence dans les cas précis, déterminer un droit qui est légal et égal lors des échanges entre citoyens (synallagmata).

A. Le juge comme artiste d’équilibre du droit
Dans le cinquième livre de l’Éthique à Nicomaque, Aristote se donne pour tâche de circonscrire le champ de la justice et du droit, deux piliers qui fondent l’architectonique juridique des institutions politiques. Leur conception relève de l’esthétique du droit car tous les deux sont traversés par la dimension du kalon (le beau qui est également le moralement beau). En effet, le beau implique une certaine harmonie et des proportions qui le situent au juste milieu de deux extrêmes67 . Or ce qui fait l’objet de ce cinquième livre est la justice en tant que mésotès (moyen à respecter), les actions qu’elle met en jeu ainsi que le rôle du juste comme facteur d’équilibre entre un trop et un trop peu68 .
Dans cette entreprise, Aristote ne dévie pas de la conception traditionnelle de la justice considérée comme vertu parfaite. Ainsi, il commence par analyser et approfondir la justice et le droit qui en découle, dans leur dimension générale et absolue. Mais il présente des aspects orignaux lorsqu’il procède à l’analyse du droit politique, le droit qui se déploie au sein de la cité (polis), c’est à dire celui qui concerne les individus politiquement semblables69 . N’oublions pas que la justice est une vertu politique car elle est étudiée par le Stagirite en connexion avec les rapports entretenus entre citoyens (synallagmata). Elle puise par conséquent sa force et son effectivité dans les relations de l’un envers l’autre des citoyens. Aristote précise que l’idée de droit ne saurait être entièrement indépendante de l’idée de loi (nomos), car les synalagmata sont régulées par les lois qui règlent les rapports entre citoyens70 . Or, le juge pour faire bonne œuvre, doit se pencher sur la rectification juridique des échanges (synalagmata), sans s’écarter pour autant de la consultation des lois. Car la loi est une règle dotée de force contraignante pour les parties en litige ; elle atteste une intelligence (noûs) et une sagesse (prudence) certaines71 , utiles aux différends litigieux.
Ce qui intéresse plus spécialement Aristote dans la justice comme vertu, c’est son dynamique qui crée un cadre juridique où se réalisent les échanges politiques. Or les échanges ne requièrent pas seulement le recours aux lois (la justice légale) mais aussi à l’égalité comme fin recherchée de la part du juge pour dire le droit. La justice se révèle par là comme la vertu qui concerne tant les hommes justes que les actes justes. Car le droit est, répétons-le, à la fois le légal et l’égal72 .
Une des originalités d’Aristote consiste à faire du juge le contrôleur des rapports politiques et l’artiste du droit-juste (dikaion) qui structurent la vie de la cité. Ce dikaion se rapporte tant aux citoyens qu’aux choses (pragmata) qui font l’objet des échanges sociaux (synallagmata). Aristote actualise donc l’idée de justice et du droit qui en est issu dans toutes leurs manifestations au sein de la cité. Car le juste, se disant de plusieurs façons, revêt plusieurs formes73 . Contrairement à Platon qui cherche à établir une métaphysique du juste comme inhérente aux trois parties de l’âme humaine et aux trois ordres de la cité74 , Aristote s’évertue à politiser toute sorte de loi comme faisant partie du droit qui régit l’ordre de la cité (dikaion politikon). Or sans dévier de la ligne traditionnelle, il juridicise, sans la déformer, la conception morale de la justice.
Concrètement : le juge pourrait prendre sa décision en se rapportant d’abord à la justice légale, la loi, tout en la dépassant, sans pour autant la trahir, à l’aide de la méthode dialectique. Car le droit n’est pas créé par la loi mais existe dans l’ordre politique des choses, en tant qu’ égal (ison). Les lois et surtout les lois communes qui renvoient à des principes juridiques d’égalité (isonomia75, isègoria76 , isopoliteia77 ) composent la pierre angulaire de la cité grecque. Car l’égalité (ison) est un élément d’équilibre pour le bon déroulement des affaires politiques78 . Aristote valorise dès lors l’ison en l’assimilant notamment à ce droit recherché par le juge dans la distribution des biens au sein de la cité 79.
B. Le droit dans la mobilité de l’ordre des choses
Dans l’Ethique à Nicomaque, Aristote vise fondamentalement un droit –juste qui ne renvoie ni à une métaphysique transcendante à la manière de Platon, ni à une nature divinisée comme ce sera le cas, à l’époque hellénistique, chez les Stoïciens. Il s’intéresse à un droit régissant les échanges entre citoyens : les synalagmata. Il s’agit de la détermination du droit dans les affaires de la cité qui évoluent sans rêlache. Le dikaion, pour être actuel et valide, doit toujours s’adapter au cours politique des choses. Il est l’un dans le multiple, en devenant, grâce à ses manifestations variées, multiple dans l’un : le tout politique, la cité. Or celui qui dit le droit le juge en tant que dikaion animé (empshychon dikaion)80 . Car le dikaion est dégagé de l’ordre naturel des choses grâce à la prudence judiciaire. Les synallagmata se rapportent directement au statut politique de l’individu et peuvent être rectifiés, une fois vérifiés par le dikastès. Le citoyen grec ne représente pas une existence ontique (individualité biologique, morale et psychologique) mais un individu en relation avec ses politiquement semblables, citoyen dynamique puisqu’il exerce des mouvements vitaux dans les relations politiques.
En effet, le droit synallagmatique ne saurait être défini sans ses liens avec la dynamique de la cité considérée comme une réalité historique et culturelle dont le juge ne pourrait pas faire abstraction. La polis représente le lieu de cette entreprise juridique, car c’est au sein de la polis que le droit prend sa pleine signification et accomplit ses finalités. Le dikaion, se réalisant dans le cadre de la polis, est avant tout un dikaion politikon 81 ; la justice à laquelle il appartient concerne l’altérité citoyenne82 . Or la parole du juge ne saurait se situer en dehors de la cité.
Dans cette perspective, le droit fait l’objet de la distribution et de la correction comme un juste-justesse, donc comme un juste qui est à la fois légal et égal. Le juste-justesse atteste dès lors le juste milieu dans les échanges (synalagmata). Dans ce cas, la tâche du juge revêt tout spécialement la fonction d’un juste partage.
Aristote envisage d’approfondir les enjeux politiques du droit que la prudence du juge, grâce à l’ art dialectique, doit dégager de la nature des choses. Le juge doit donc procéder à un juste partage dans la distribution des biens politiques83 lors des échanges entre citoyens ; il est à la cherche d’un juste (dikaion) envisagé comme chose (pragma) à savoir comme élément objectif d’un acte de vertu et en l’occurrence comme la chose de la justice en tant que vertu. A cette fin, le juge se sert de la symbolique des figures géométriques 84 : l’égalisation, à l’aide des proportions géométrique et arithmétique, de ce qui doit revenir à chacun lorsque l’égalité en matière de justice politique fait défaut, ou lorsqu’ elle doit être rétablie une fois dérangée, par la recherche du juste milieu entre un trop et un trop peu. Dans cette entreprise, le juge doit procéder à un juste partage. Il y va de la géométrisation du droit.
En effet, nous sommes dans le champ de la justice particulière dont le droit est édifié sur l’égalité et l’inégalité. Ici le droit se concrétise fondamentalement dans le rapport à autrui ; il est conforme à ce qui est juste aux exigences de l’égalité. Celle-ci représente une mésotès85 , le juste milieu entre un trop et un trop peu, objet principal de la justice particulière. Ce juste milieu atteste un droit objectif, car dans un cas donné et dans des conditions précises, le droit indique un milieu déterminé par la prudence du juge. Ce dikaion n’est pas relatif à deux personnes, ou à une chose par rapport à une autre, mais il exprime la réalisation d’un juste milieu (méson) que le juge doit déterminer, en égalisant les parts illégitimement inégales, entre une personne par rapport à une autre et en même temps entre une chose par rapport à une autre. Ce dikaion implique dès lors quatre termes, c’est-à-dire un rapport entre ce qui est donné à un citoyen par comparaison à ce qui est donné à un autre86 . Pour le Stagirite, le rapport à autrui renvoie à une proportion (analogia) grâce à laquelle le droit peut réaliser l’égalisation entre le trop et le trop peu que nous avons déjà mentionnée. Ce droit concerne tant les charges et les honneurs que les citoyens doivent recevoir de la part de la cité que les dommages subis. De cette manière, à des citoyens égaux reviennent des partes égales alors qu’à des citoyens inégaux reviennent des partes inégales, selon une égalité proportionnelle. Celle-ci implique une attribution à chacun selon son mérite (axia)87 . Pour les penseurs grecs en général, l’axia est très étroitement liée à l’idée de mesure 88. Plus spécialement, le droit qui se rapporte à l’attribution des biens est qualifié de distributif (dianémitikon). Le Stagirite lui assigne comme proportion la plus appropriée pour ses distributions, la proportion géométrique ; c’est elle qui renvoie au mérite (axia) de chaque citoyen; ce mérite doit être reconnu et estimé par le juge. Le dikaion doit aussi lui servir de fil directeur pour réaliser un juste partage entre citoyens89 . C’est un dikaion extérieur à l’être de l’homme.
Certes ce juste-justesse traduit le convenable90 dans les rapports que le juge doit rechercher. Il se révèle alors comme un droit non–normatif ; d’où la distance qui sépare la philosophie du droit d’Aristote des théories positivistes modernes. Ce convenable consiste dans l’évaluation précise de ce qui est mesuré ; le juste milieu 91. A la différence des lois (que nous avons déjà mentionnées dans La Rhétorique) qui énoncent surtout des principes de droit visant le comportement humain et notamment celui des citoyens, ce dikaion implique un solution juste et demande tout un processus dialectique de la part du juge pour égaliser la disproportion illégitime des échanges entre les parties. Dès lors, le droit concerne moins l’intention de l’acte qui qualifie l’homme juste (dikaios) que la part juste (dikaion) qui doit revenir à chacun selon son mérite (axia). Car, la tâche du juge consiste à rechercher le juste-justesse dans le rapport à autrui à partir de l’axia de chacun.
Il importe de noter que l’axia (le mérite) qui sera traduit par dignitas chez les Romains 92, n’a point le même poids juridique que comporte l'idée moderne de dignité. L’axia est extérieure à l’être de l’individu et n’implique par conséquent aucune qualité inhérente à l’homme comme personne, telle la dignité postmoderne. L’axia se rapporte au statut politique de l’individu donc au citoyen. C’est pourquoi tout en énonçant un principe général de droit, l’axia diffère selon le régime politique qui règne dans la cité. Elle se rattache dès lors à la réalité politique et éclaire l’actualité des échanges dans un contexte historique et culturel précis. Elle fait l’objet d’une attention particulière de la part du juge qui doit la cerner à la lumière de la forme de gouvernement (politeuma) dont est doté chaque polis. Elle se distancie alors de la dignité moderne qui possède un caractère universel et atemporel car elle qualifie l’humanité de la personne humaine in abstracto et est admise comme un axiome intouchable.
Comme critère de base, le mérite grec acquiert tout particulièrement son importance de la coloration politique des constitutions grecques (politeiai) : ce qui prime pour déterminer le mérite, c’est l’arétè (la vertu grecque) pour l’aristocratie, la noblesse du sang et la richesse pour les oligarques, la liberté pour la démocratie93 .
Dans le domaine de la justice particulière, Aristote fait entrer également un autre droit, le droit correctif (dikaion diorthotikon) qui diffère du droit distributif. Le premier concerne les individus de statut égal (les membre de la cité) mais d’un mérite inégal. Au contraire le droit correctif, tenu de respecter l’égalité arithmétique, se montre indifférent par principe au rang ou à l’office des citoyens. Il ne concerne que le kerdon (le gain) où la zèmia (la perte) qui reviennent à chacun d’eux. Pour la rectification des rapports, le juge traite les parties à égalité, la perte de chaque partie constitue un moyen terme entre le « trop » (le gain injustifié) et le « trop peu » (la perte subie). Les qualités individuelles sont écartées au profit du tort causé. Prenons comme exemple l’adultère. Le juge ne doit pas examiner si le coupable est un homme honnête ou malhonnête, de grand renom ou non, mais doit se centrer sur le préjudice qu’il a causé ou subi. Toutefois, Aristote n’est point strict sur ce principe. Il y a des cas où il se voit obligé de faire une inflexion pour réintroduire en droit correctif, comme exception, la proportion géométrique. Certes, il doit égaliser la part de chacun en fonction du dommage, mais malgré tout, il peut se voir contraint de violer ce principe en raison de la répercussion qu’a le tort subi par la victime sur l’ordre social de la cité. Tel est le cas du magistrat (archonte) qui a été frappé. Ici le droit correctif qui appelle par principe à l’application de la proportion arithmétique, demande une égalisation de la part du juge qui ne doit pas prendre pas en considération le préjudice seul mais aussi les qualités propres d’un citoyen qui le distinguent des autres 94. Il y va d’un glissement vers la proportion géométrique. Faut-il voir dans cette exception la violation d’un principe? Je ne le crois pas. Je pense qu’Aristote sous-tend une tout autre chose qui relève de sa conception esthétique du droit. Dans le cas du droit correctif dont relève notamment le droit pénal, la sanction vise moins le coupable que l’inégalité entraînant un dérèglement injustifié dans les relations synallagmatiques. Cette sanction qui cherche à remédier à cette inégalité ne traduit pas un aspect sacré ou moral de la sanction. Elle témoigne d’une exigence juste qui vient de l’ordre objectif des choses ; elle porte à penser que le dikaion se trouve dans la nature des choses, susceptible d’être dégagé par le juge 95.
En l’occurrence, il ne faut pas confondre ce droit synallagmatique avec l’équitable. Ce dernier constitue aussi un véritable droit et reflète l’actualité d’une condition sociale. Toutefois, l’équitable est loin de représenter un droit qui a directement trait à l’ison, l’égalité proportionnelle. Par contre, il se rapporte à la loi; il constitue une rectification96 de la loi donc du droit légal97 . Car il vise à adapter la loi aux circonstances du cas judicaire à examiner98 . De plus, ce qui distingue l’équitable du droit particulier du point de vue procédural, c’est qu’il incombe plus à l’arbitre de s’en servir qu’au juge, comme en fait mention le Stagirite dans La Rhétorique99 .
Enfin, il ne serait pas erroné d’affirmer que l’équitable n’est pas une sorte de droit naturel qui relève de la dialectique de la nature des choses.

C. Mobilité et immobilité du droit naturel
Dans La Rhétorique Aristote, tout en mettant l’accent sur les lois, fait mention d’un droit naturel (physei) prévu par le koinos nomos100 . Cela ne fait aucune ambigüité lorsqu’il remarque que « ...par loi commune j’entends la loi naturelle » 101. Il nous donne l’impression que par le terme pantes (tous), il entend la loi non écrite comme une loi qui est partout valable et stable dans le temps et qui peut être devinée par tous102 . Cette loi doit donc concerner tout le monde. A ce sujet, il cite Empédocle : « Mais la loi universelle s’étend en tout sens, à travers l’éther qui règne au loin et aussi la terre immense ». Il est certain que ce droit naturel (physei koinon dikaion) se rapporte à l’espèce humaine103 . Toutefois, un autre exemple qui concerne le même cas s’applique aux nomima au nom desquels Antigone a enterré son frère. Il s’ensuit qu’Aristote met dans la catégorie du droit naturel prévue par la loi, ces principes de droit qui traduisent la sagesse juridique commune à tous les Hellènes. En revanche, dans l’Éthique à Nicomaque, le Stagirite, se centrant sur le droit dans la nature de choses, précise que le droit naturel fait partie du droit de la cité (politikon dikaion). En l’occurrence, il divise le droit politique en droit naturel et en droit légal, la validité de ce dernier dépendant de chaque cité particulière104 . A propos du droit naturel, il remarque que sa puissance du déborde les frontières de la cité. Et à cette fin, il donne comme exemple le feu qui brûle aussi bien en Perse qu’en Grèce. Cet exemple renvoie plus précisément donc à un droit naturel qui a la même validité partout. Il rejoint par là le droit naturel dont il parle dans La Rhétorique. Toutefois, dans l’Éthique à Nicomaque il souligne que cette idée (l’immobilité et l’universalité du droit naturel) n’est partagée que par certains peuples (eniois). Juste après, il soutient, sans pour autant avoir l’intention de contredire la conception de ces peuples, que les tous les droits (dikaia) sont variables (mobiles) car cette règle n’est pas absolue mais comporte des nuances.
Il y a plusieurs remarques à faire concernant le caractère du droit naturel.
Lorsque Aristote qualifie les nomima d’Antigone, de droit naturel et laisse entendre qu’il est stable et général, il se rapporte à la validité de ces principes de droit dans la culture et l’histoire telles qu’elles sont conçues par les Hellènes. Il s’agit surtout des principes qui sont à la base de la paideia105 juridique panhellénique et qui priment sur les décrets-lois. Ce sont des nomima politika (les principes de droit qui règnent dans la cité); en tant que politiques et historiques il font partie de la nature des choses. Car culture et histoire participent des choses de la nature.
Aristote classe dans la catégorie du droit naturel, la loi universelle dont parle Empédocle, car elle dépasse les frontières de la cité, relevant d’un sentiment commun à tout homme, ainsi que les nomima d’Antigone. Toutefois, ces derniers sont précis106 puisque ils sont transmis oralement comme héritage juridique de la culture hellénique.
Lorsque le Stagirite parle dans l’EN de l’universalité du feu, il se rapporte à une loi empirique (scientifique) qui traduit le mécanisme qui régit l’ordre de l’univers. En ce sens, de telles lois sont universelles. En revanche, lorsque il se rapporte au droit situé dans l’ordre naturel (et, par là, dans l’ordre politique), il fait allusion aux droits-choses justes qui font principalement appel à la prudence du juge pour être déterminés dans la nature des choses et surtout dans les échanges entre citoyens. De ce dernier point de vue, le droit politique est un droit selon la nature car, répétons-le, l’histoire et la culture font partie de l’ordre naturel. Or une telle conception de l’ordre des choses n’est pas compatible avec la considération d’un droit naturel figé, immobile, éternel et atemporel. Comme toute ce qui fait partie de la nature des choses se meut (koiniton mentoi pan107 ), le droit naturel est mouvant chez Aristote (dikaion kinoumenon) 108.

Epilégomènes

Il y a plus d’une leçon significative à tirer de la culture juridique d’Aristote concernant tout spécialement le rôle du juge dans la cité grecque. A) Le juge n’est pas un simple serviteur des lois, ni l’esclave de leur lettre. Il fait fonction de démiurge juridique : artisan de droit à partir de la notion du juste, il signale le bon109 partage. B) Le dire du juge ne constitue pas un discours sur l’ontologie du droit. Il s’agit plutôt d’une parole (logos) argumentative sur le juste sans l’aborder de manière exhaustive. C) Cette parole représente un miroir où se reflètent les valeurs culturelles (de la paideia) qui règnent dans un moment historique de la cité. D) Les valeurs politiques qui prévalent dans la cité et qui déterminent le mérite de chaque citoyen inclinent le juge à se servir pour déterminer le juste, de la proportion géométrique comme la plus adaptée à l’actualité du droit de la cité. Il n’est donc pas étonnant de voir que Platon et les Pythagoriciens soutiennent, vu son importance, que la proportion géométrique règle non seulement les affaires de la cité mais aussi celles des dieux110 .

Recibido el 7 de enero de 2013 y aceptado el 14 de enero de 2013.

* Directeur de recherche CNRS (UMR 7184) et Directeur adjoint � l'Institut de Criminologie (Universit�-Panth�on-Assas). Professeur associ� � l'Universit� laurentienne (Canada).

NOTAS

1 Cf. Il s’agit de l’idée de l’hosion, cf. Platon, Euthyphron 12 c-e.

2 J.-M. Bertrand, De l’écriture à l’oralité. Lectures des Lois de Platon, Paris, Publications de la Sorbonne, 1999, p. 41.

3 Platon, Les Lois, 854 c.

4 Platon, Le Politique, 301 d.

5 Les Lois., 856 a.

6 Platon, La République, 473 a.

7 Cf. Platon, Les Lois, 709 b : « Que la Dignité et, avec le concours de la Divinité, Hasard et Occasion Favorable gouvernent la totalité entière des affaires humaines », traduction de la Pléïade.

8 Platon, Les Lois, 853 c.

9 A titre d’exemple, cf. La République, 350 c ; 352 d. En ce qui concerne la vie juste, cf. Les Lois 663 b.

10 Cf. Les Lois, 966 b.

11 Pour un avis différent, à savoir au lieu d’un droit polymorphe, il y a des droits individuels, voir F.-D. Miller, Nature, justice, and rights in Aristotle's Politics, Clarendon Press, 24 août 1995.

12 Car la nature comme l’observe très pertinemment L. Strauss, Droit naturelle et Histoire, Paris, Champs/Flammarion, p. 92, « est l’ancêtre de tous les ancêtre, la mère de toutes les mères ; la nature est antérieure à toute tradition et par suite plus vénérable que toute tradition ».

13 Aristote, La Métaphysique, Z, 1028 a.

14 Aristote, Ethique à Nicomaque, 1129 a 24-28.

15 Je fais allusion aux théories contractualistes (Hobbes, Locke… qui commencent leur philosophie juridique à partir de l’individu dans un prétendu état de nature.

16 Pour l’actualité de l’idée de la justice aristotélicienne, B. Jackson, « The Conceptual History of Social Justice », Political Studies Review, v. 3/2005, p. 356-373 et notamment p. 360-362.

17 Aristote privilégie l'idée d'une méthode déductive dans ses recherches. Toutefois, il ne néglige pas l’importance de l'induction : cf. « Ce qui ne veut pas dire que par l'observation répétée de cet événement, nous ne puissions, en poursuivant l'universel, arriver à une démonstration, car c'est d'une pluralité de cas particuliers que se dégage l'universel », Seconds Analytiques I, 31, 88 a 4.

18 Aristote, La Politique, 1253 a 19-20.

19 Dans notre étude, il faut entendre l’adjectif politique, au sens grec du terme : ce qui relève des affaires ou de l’ordre de la polis (cité), donc ce qui concerne l’administration de la cité et les citoyens.

20 La Politique, 1253 a 19-20.

21 La Politique, 1253 a 35-40.

22 Aristote, La Politique, 1328 a 37-40.

23 Elle désigne en général la constitution d’une cité grecque ou bien son régime politique; cf. Thucydide, La guerre du Péloponnèse, 2, 37 ; Platon, La République, 562 a.

24 La Politique, III, 1274 d 35-1275 a 5.

25 Aristote, Ethique à Nicomaque, 1129 b 30-33.

26 EN, 1129 b 30.

27 Ici Aristote se fait l’écho de la conception traditionnelle de la justice ; cf. Platon, La République, 363 a.

28 La Politique, III, 1280 b 4-8.

29 Ibid., 1281 a 3-5.

30 Ibid., 1236 a 30-32.

31 Ibid., 1324 1-3. Pour les rapports entre la vertu et le bonheur, voir C. Louis-Comblet, « Ascétisme et Eudémonisme chez Platon », Annales Littéraires de l’Université de Franche-Comté, v. 79, 1997, p. 82-83.

32 La Politique, 1328 b 35-36.

33 Pour Aristote, il y a trois facteurs qui concourent à la vertu : la physis (nature), l’éthos (habitude), et le logos (savoir), La Politique, 1332 a 39-40.

34 La justice comme vertu morale (EN.1103 a 15 et suiv.) renvoie à l’activité de l’âme kata logon (conforme à la règle), cf. EN.1098 a 7-8. G. Romeyer-Dherbey insiste sur le côté praxéologique (la prudence exercée dans le champ pratique) de la vertu-prudence chez Aristote dans son étude «La prudence chez Platon », Philosophia, Annales de l’Académie d’Athènes, n°39/2009, p.158-169. Pour plus de détails sur le rôle de la prudence et son importance pour le juge voir P. Aubenque, La prudence chez Aristote, Paris, Puf/ Bibliothèque de philosophie contemporaine, 1963.

35 Cf. Aristote, Ethique à Nicomaque, 1099 b 30. Platon, Les Lois, 636 d.

36 Aristote, La Politique, 1289 a 15-20.

37 Noue ne rapporterons pas à la Grande Éthique car il n’est pas certain que son auteur soit Aristote. Dès lors, il ne s’agit pas d’une source certaine. Quant à l’Éthique à Eudème, une grande partie en est corrompue. D’ailleurs, plusieurs critiques considèrent que l’auteur n’est point Aristote. Cette Éthique constitue un traité qui contient plusieurs livres de l'Ethique à Nicomaque et notamment le livre V. Cf. Sir D. Ross, Aristotle. With a new introduction of J.-L. Ackrill, Routledge, London, 1923, édition de 1995, p. IX V. Ni les scholiastes grecs, ni les commentateurs latins, ni Thomas d'Aquin n'ont voulu travailler sur ce traité, contrairement à l’Éthique à Nicomaque qui fut abondamment commenté. La Grande morale a subi le même sort.

38 La Rhétorique, 1372 a et suiv.

39 Ibid., 1373 b 2-3.

40 Ibid., 1373 b 4-5. Pour la valeur sémantique des différents types de lois, voir l’étude de M. Talamanca, « Politica, equità e diritto nella pratica giudiziaria attica», Mnèmè, Mélanges offerts à Georges A. Petropoulos, Athènes, Sakkoulas, v. 2, 1984, p. 332-356.

41 La Rhétorique, 1368 b 6-9. Cf. Thucydide, La guerre de Péloponnèse, 6, 92; 2, 15. Platon, Les Lois, 376 a.

42 Il est donc légitime que celui qui viole toutes ces sortes de lois doit être conduit devant le juge. Cf. L. Sancho Rocher, « Justice et égalité chez Aristote », Revue Internationale des Droits de l’Antiquité, 2007, p.143-181 et notamment p. 149.

43 La Rhétorique, 1368 b 11 6-9.

44 Par droit politique, j’entends le droit qui s’exerce au sein de la cité grecque.

45 Ibid., 1373 b 8-10.

46 Sophocle, Antigone, v. 450-460.

47 Thucydide, La guerre de Péloponnèse, L. II, 34.

48 Cf. Euripide, Les Suppliantes, v. 313 ; 526 ; 563 ; 671.

49 La Rhétorique, 1373 b 5-8.

50 Cf. Euripide, Les Suppliantes, v. 537-541.

51 Cf. Eschyle, Les Suppliantes, v.706-708 : « Aussi bien le respect des pères est-il la troisième loi inscrite au livre de la Justice ».

52 La Rhétorique, 1374 a 17-19.

53 Ibid., 1374 21. Ce trop dont il s’agit en l’occurrence traduit une hybris, une faute objective qui revêt plusieurs formes. Dans l’ouvres des dramaturges grecs, le tragique renvoie toujours à une hybris qui fait l’objet d’une punition et de la part des dieux et de la part de l’homme.

54 EN, 1134 a 30-31.

55 EN, 1129 b 10-15.

56 Platon témoigne de cette mobilité des choses de l’ordre nature chez Héraclite dans Cratyle, 402 a.

57 La Rhétorique, 1373 b 8-10.

58 Ibid., 374 b 25.

59 La Rhétorique, 1375 a 27.

60 Ibid., 1375 b 5-6.

61 Ibid., 1375 b 3-5.

62 Ibid., 1375 b 7-8.

63 Ibid., 1375 a 3-32.

64 Ibid., 135 b 18.

65 Demosthene, Contre Leptine, 96-97; 47, 63. Eschine, 3, 6-7.

66 EN, 1132 a 20-21.

67 Comme l’a fort bien formulé Platon : to… kalon ou ametron (le beau ne saurait être sans mesure), Timée 87 c.

68 Cf. EN, 1129 a 1-5.

69 EN, 1134 a. 25-32.

70 Ibidem.

71 EN, 1180 a 20-25.

72 Ibid. 1129 a 30-35.

73 Ibid., 1129 a 23-26.

74 Cf. Le livre IV de la République et notamment 435 a-c.

75 Il s’agit de l’égalité devant la loi ; cf. Herodote, L’Enquête, 3, 80. Platon, La République, 563b.

76 L’isègoria dénote la liberté de parler égale pour tous ; cf. Herodote, L’Enquête, 5, 78.

77 L’isopoliteia assure l’égalité des droits civils ; cf. Aristote, fr. 537.

78 Cf. Euripide, Les Suppliantes, v. 430-435.

79 Cf. W. von Leyden, Aristote on Equality and Justice. His Political Arguments, London, Macmillan, 1985. Cet auteur présente toute une argumentation intéressante autour des rapports entre justice et égalité.

80 EN, 1132 a 23.

81 EN, 1134 a 25-26.

82 La justice politique ne peut pas concerner un maitre et un esclave, ni un enfant et son père ; cf. EN, 1134 b 13-14.

83 Par biens politiques, nous entendons les choses publiques, donc celles de la cité (cf. Herodote, L’Enquête, 7, 236) et les biens dont disposent les autorités légitimes de la cité, choses qui font l’objet de distribution.

84 La symbolique des figures géométriques est l'étude des figures géométriques (point, lignes, surfaces, volumes) en tant que symboles ayant capacité à désigner, ou à signifier. Il s’agit donc de symboles (il faut insister) et pas de notions strictement mathématiques.

85 Par l’adoption de la mésotès en matière de droit, Aristote souscrit à la morale grecque qui fait de l’hybris (démesure) une faute objective. Les paroles qu’Euripide fait prononcer par le chœur, dans sa pièce Les Suppliantes, en sont très significatives internacionales : « ‘Rien de trop’, même avec les dieux », cf. v. 1062. Cf. également, Eschyle, Agamemnon, v. 378-380 : « La mesure est le bien suprême; souhaitons fortune sans péril qui suffise à une âme sage ».

86 EN. 1131 a 18-20.

87 Par mérite, il faut considérer l’importance de l’individu en tant que citoyen. Il n’y a pas d’intériorité éthique chez les Grecs.

88 C. Levy, « La notion de mesure dans les textes stoïciens latins (Cicéron, Sénèque) », Philosophia, Annales de l’académie d’Athènes, v. 41/2011, p. 186-202 et notamment p. 186, parle ainsi de l’importance qu’a l’axia pour la mesure chez les Stoïciens : « Comment penser la valeur (axia) sans penser à la mesure. Telle est l’une des question que l’on peut se poser à propos du stoïcisme ».

89 Cf. EN, 1131 a 25.

90 Cf. EN, 11099 b 26.

91 Cf. EN, 1106 b 27.

92 Cicéron parle de la dignitas, lorsque il donne la définition de la justice et du droit dans De inventione, 2, 53, 160. Pour plus de détails voir l’étude, déjà classique, de F. Senn, De la Justice et du Droit, Paris, Sirey, 1927.

93 EN, 1131 a 2-30.

94 Cf. EN, 1132 a 25-35.

95 Nous ne partageons pas l’avis de R. Kraut, « Are there Natural Rights in Aristotle ? », The Review of Metaphysics, n.° 49/1996, p. 755-74, qui semble accepter que le droit naturel chez Aristote est un droit individuel que l’individu peut posséder aussi bien dans le cadre de la cite que dans un état qui n’est pas politique (au sens grec du terme).

96 Nous ne sommes pas donc d’accord avec I. Gorby qui soutient que la loi non écrite « est le fondement de l’équité », cf. La philosophie pratique d’Aristote, Presses Universitaires de Lyon, 1995, p.125.

97 EN, 1137 b 13-14.

98 EN, 1137 b 32-33. Dans cette perspective, cf. A. Beever, « Aristotle on equity, law and justice », Legal theory, v. 10/2004, p. 33-50. Cf. également D. Shanske, « Revitalizing Aristotle's Doctrine of Equity», Journal of Law, Culture and the Humanities, v. 4/2008, p. 352.

99 La Rhétorique, 1374 b 20-21 : « … l’arbitre voit l’équité ; le juge n voit que la loi ».

100 La Rhétorique, 1373 b 4-8.

101 Ibid., 1373 b 6.

102 La Rhétorique, 1937 b 4-8 ; 1368 b 9.

103 Ibid., 1373 b 16-17.

104 EN, 1134 b 15 et suiv.

105 Paideia entendue au sens de la formation d’un idéal d’humanité que les sages, les nomothètes et les philosophes grecs, entre autres, ont eu le soucis de développer.

106 A titre d’exemple, nous citons le respect des parents, le droit d’hospitalité, le droit à la sépulture.

107 EN, 1134 b 30.

108 EN, 1134 b 26-25. A ce sujet, G. Romeyer-Dherbey, « La question du droit naturel en Ethique à Nicomaque E 10, 1134b 19-1135 a 6 », p. 163-174 et notamment p. 170, Philosophia, Annales de l’Académie d’Athènes, v. 34/2004, remarque : « Aristote ne rejoint pas par là le platonisme, qui pensait trouver l’être et le rationnel au-delà du muable »… Le mouvement naturel… « est celui de la génération et de la corruption, c’est-à-dire des mouvements qui ont en eux mêmes… leur logique, et qui exprime une évolution normée ».

109 Au sens grec du terme : kalon, ce qui implique inexorablement l’idée d’un juste comprenant des proportions.

110 Platon, Gorgias, 508 a.




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