Revista europea de historia de las ideas políticas y de las instituciones públicas


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Presidente del C.R.: Antonio Ortega Carrillo de Albornoz
Director: Manuel J. Peláez
Editor: Juan Carlos Martínez Coll


DE LA DÉMOCRATIE : ATHÈNES D’HIER, EUROPE AUJOURD’HUI

Stamatios TZITZIS*

Para citar este artículo puede utilizarse el siguiente formato:

Stamatios Tzitzis (2015): « De la démocratie : Athènes d‘hier, Europe aujourd‘hui », en Revista europea de historia de las ideas políticas y de las instituciones públicas, nº 9 (diciembre 2015).

Resumen: Atenas sentó los pilares de la democracia moderna y contemporánea. Sin embargo, la libertad y la igualdad de la democracia ateniense no es coincidente con la de nuestros días. Para el autor del presente artículo el ciudadano ateniense tenía libertad de poder criticar a quienes eran depositarios del poder político. Pericles gobernó conforme a las instituciones democráticas, pero con un espíritu aristocrático. La separación de poderes no se conocía en Atenas como de hecho ocurría en otras ciudades griegas. Sin embargo la democracia postmoderna se diferencia de la democracia clásica e impide a los pueblos decidir sobre el futuro político. La Unión Europea está jugando un papel de hegemonía análogo al ejercido por Atenas dentro del cuadro de la Liga de Délos. Sin embargo, la Unión Europea intenta, a diferencia de la Atenas clásica, imponer comportamientos democráticos uniformes para todos. Los «señores» de Bruselas imponen a los pueblos medidas y políticas que son contrarias a los valores republicanos y a los ideales de la democracia. La democracia ateniense es una víctima de la democracia postmoderna.

Palabras clave: Atenas, Grecia clásica, Democracia, Pericles.

Resum: Atenes va asseure els pilars de la democràcia moderna i contemporània. No obstant això, la llibertat i la igualtat de la democràcia atenesa no és coincident amb la dels nostres dies. Per a l'autor del present article, el ciutadà atenès tenia llibertat de poder criticar a els qui eren dipositaris del poder polític. Pèricles va governar conforme a les institucions democràtiques, però amb un esperit aristocràtic. La separació de poders no es coneixia a Atenes com de fet ocorria en altres ciutats gregues. No obstant això la democràcia postmoderna es diferencia de la democràcia clàssica i impedeix als pobles decidir sobre el futur polític. La Unió Europea està jugant un paper d'hegemonia anàleg a l'exercit per Atenes dins del quadre de la Lliga de Dèlos. No obstant això, la Unió Europea intenta, a diferència de l'Atenes clàssica, imposar comportaments democràtics uniformes per a tots. Els «senyors» de Brussel·les imposen als pobles mesures i polítiques que són contràries als valors republicans i als ideals de la democràcia. La democràcia atenesa és una víctima de la democràcia postmoderna.

Paraules clau: Atenes, Grècia clàssica, Democràcia, Pèricles.

Il est mondialement admis qu'Athènes pose les piliers de la démocratie qui sert de fondement aux démocraties moderne et postmoderne, au moins pour le monde occidental. Les droits fondamentaux de liberté et d’égalité, la capacité légale de tous les citoyens de pouvoir participer aux affaires communes de leur pays remontent aux institutions de la démocratie classique.

Si l'appellation de plusieurs institutions démocratiques est commune aux Anciens et aux Modernes, leur caractère et leur contenu sont pourtant différents. L’art politique pratiqué à Athènes s'oppose sur plus d'un point à celui qui règne dans les pays démocratiques contemporains. Je tâcherai d'être plus précis dans cette étude.

1. Athènes : une démocratie élitiste ?
Une des caractéristiques de l'esprit démocratique d'Athènes est son ouverture à tout étranger désireux de connaître son mode de vie et d'y participer positivement selon les usages et les coutumes de la cité. Périclès veut une ville où fleurissent les arts et les lettres, la rhétorique, le droit et la politique couronnés par un dialogue critique et raisonné. Bref, il s'efforce de promouvoir une vie culturelle dont le rayonnement rend jaloux les autres cités helléniques.

Cet état d'esprit s'oppose à celui de Sparte qui se plie sur elle-même, hostile à toute communication avec les étrangers et peu accueillante pour les politai (les citoyens de l’époque) des autres cités. En particulier, Sparte pratique la xénélasie1. La présence des étrangers n'est tolérée qu’en des occasions exceptionnelles.

Toutefois, si Athènes permet aux étrangers de séjourner sur son sol, si elle permet aux météques de participer à la vie commune de la cité sous certaines conditions, Périclès n'accorde qu’avec beaucoup de parcimonie la citoyenneté athénienne. En effet, jusqu'en 451, pour être citoyen athénien, il est indispensable d’être male, né de père athénien, et avoir suivi l'éphébie de 18 à 20 ans, en étant capable de défendre la cité. Car l'éphébie prémunit la ville des risques de tyrannie. En 451, Péricles modifie la loi qui désormais confère la citoyenneté au jeune adulte à la seule condition de la double filiation d'un père de statut citoyen et d'une mère, fille de citoyen. Or ce second critère introduit une restriction certaine.

L’obtention de la citoyenneté à Athènes se mérite. Ainsi, si un métèque grec accomplit de hauts exploits pour la cité, il peut recevoir, à titre exceptionnel et comme remerciement pour ses actions, la citoyenneté athénienne, et cela moyennant finances.

Accueillir est loin donc d'impliquer l'intégration de l'étranger, ‒ comme c'est le cas d'aujourd'hui ‒ en vue de le rendre athénien2. Il y a un élitisme politique qui, selon notre logique démocratique moderne, est peu conciliable avec les idéaux qui qualifient un régime de démocratie.

La démocratie athénienne est loin de promouvoir une égalité existentielle qui nivelle toutes les différences entre citoyens et non-citoyens au nom de la qualité de personne propre de l’ être humain ; ce qui permet actuellement d'accorder, sous forme de droits fondamentaux, des prérogatives politiques aux étrangers, pour vivre librement ensemble. La liberté dans l’Athènes démocratique a une nature et des perspectives qui ne coïncident pas avec celle d'aujourd'hui.

Concrètement : chaque citoyen peut élire et se faire élire. Il peut devenir magistrat et juge, membre de tout institution de la cité, telle la boulê et l'assemblée.

A Athènes, l'égalité s'appelle isonomia3. Elle a un sens précis et signale l'égalité devant la loi. Autrement dit, elle réserve le même traitement politico-juridique à tous les membres de la cité : les politai. Elle s'oppose à l'égalité existentielle qui désigne l'égalité de naissance, propre aux démocraties postmodernes. Car la démocratie athénienne admet l'esclavage comme phénomène naturel. Aristote justifie juridiquement et moralement l’esclavage à partir du moment où il s’avère utile4. Le Stagirite est très explicite sur ce point qui est d’ailleurs sévèrement critiqué par les démocraties modernes. Ce n'est pas tout. La démocratie athénienne est sexiste : les femmes sont exclues de la vie politique mêmes si elles sont des parents athéniens. Une femme transmet la citoyenneté sans pour autant la posséder. Son rôle principal est de « produire » de bons soldats pour défendre la patrie. C'est par l'enfantement qu'elle participe d’une certaine façon à la vie de la cité. Elle doit donc se contenter de ses fonctions naturelles.

A côté de cette égalité, il existe également l'isopolitiea, la possibilité pour tous les citoyens d'assumer les différentes fonctions politiques qui font progresser la démocratie. Quant à la liberté, si Athènes récuse la liberté existentielle (l’autonomie5) qui exprime la manière de vivre dans un pays maître de lui-même, elle est réputée pour sa liberté politique essentiellement démocratique. C'est la liberté de pouvoir parler et échanger des opinions avec ses adversaires sans craindre une quelconque sanction : l’iségoria6. C'est la liberté que désigne la parrhèsia7. Le citoyen athénien peut critiquer de bonne foi les archontes, les magistrats ou le chef de l'État et leur politique. La dialectique comme opposition ou confrontation d'idées et d'opinions en vue de rechercher un compromis ou une solution juste, avec un sens critique et sans apriori,est une invention grecque. Elle a été mise en valeur et promue au rang de l'art indispensable dans les débats en politique, en philosophie, droit et rhétorique. Elle devient le fondement de la parole démocratique de chaque citoyen. Comme art, elle recherche le vrai, l'honnête et le juste. Sa dimension esthétique traverse la peinture et la sculpture en signalant l'élan vers la transcendance qui marque la liberté d'esprit et l'invention créatrice. Dès lors la dialectique souligne, comme servante de la poiésis (chaque belle création), la liberté de penser, de dire et de faire.

Pour Périclès, l'égalité et la liberté font partie intégrante de l'art politique qui s'exerce en démocratie ; elles lui assignent les couleurs qui lui sont propres. Dans chaque manifestation démocratique, il y a en filigrane la présence du beau, du bien et du juste. Le beau (to kalon) souligne l'honnêteté de chaque citoyen, le bon (to agathon) l'idéal vers lequel tend le régime et le juste, la recherche de l'harmonie et de l'équilibre dans les créations intellectuelles et artistiques ainsi que dans l'administration des affaires publiques (res publica). Fameuses sont les paroles de Périclès résumant cet état des choses qui prévalent dans sa ville : « Nous apprécions la beauté, sans pour cela aimer le faste et nous avons le goût des choses de l’esprit, sans tomber dans la mollesse. »8

Périclès s'érige en grande stratège dont l'ambition est de faire de la démocratie l'emblème de la cité. Il réussit son pari en se comportant comme disciple de l'ordre et de la discipline. Car il sait faire la différence entre démo-cratie et oclo-cratie. Il oppose à la démesure des masses passionnées et déraisonnables, la mesure et la modération qui font prévaloir les devoirs civiques avant les intérêts individuels. Pour lui, la justice puise sa vigueur dans les obligations des citoyens envers la cité et non pas dans les différentes formes du pouvoir faire. A cet effet, il met des limites aux différentes expressions de la liberté démocratique. Elle renvoie à l’opportunité des relations raisonnées et les exigences de la mesure. Ainsi le logos (raison) et le métron (mesure) deviennent les pilier de sa manière de gouverner. Périclès met en hiérarchie les valeurs de la cité selon leur nécessité pour le fonctionnement du régime et transforme les expédients politiques en idéaux démocratiques en les transposant dans les usages traditionnels de la cité qui méritent respect et vénération.

Bref, le stratège d’Athènes gouverne selon les institutions démocratiques mais avec un esprit aristocratique.

Les grandes décisions sont prises par l'ensemble du peuple. Pour Périclès, une vraie démocratie ne saurait être représentative. Une authentique participation des citoyens aux affaires de la cité nécessite une implication directe et active de tous les politai dans les affaires publiques. Chacun des membres de la cité peut être législateur et juge. La séparation des pouvoirs est inconnu à Athènes comme d’ailleurs dans les autres cités grecques.

L’institution de la graphè paranomôn9 est une expression des plus importantes qui témoignent de la force effective de la démocratie pour protéger ses lois contre les masses déraisonnées qui pourrait mettre en péril le régime. C’est une action en illégalité pour la mise en accusation d'un décret. Ainsi elle donne le pouvoir au citoyen de défendre ses lois contre la volonté du plus grand nombre. Hélas ! tel n’est pas le cas aujourd’hui.

Plus spécialement, on appelle graphè une action en justice à caractère public. Elle signifie précisément l’action en justice publique dans l'intérêt des lois. Cette procédure permet de mettre en accusation tout citoyen ou magistrat, auteur d'une proposition de décret ou d'une action politique contraire à la loi. Elle a comme objectif, de protéger la démocratie contre les excès qu'aurait pu engendrer la souveraineté totale du peuple et de mettre les institutions à l'abri des intrigues des démagogues ou des aléas de l'histoire.

Mais il y a une autre procédure qui révèle le soucis de protéger la justice contre les magistrats corrompus. Il s’agit de l’eisangelia qui a lieu devant l’Assemblée du peuple (pour des cas de trahison ou de corruption lors du vote sur les magistrats). Le magistrat peut être suspendu en attendant son jugement par un tribunal. De même, tout citoyen peut déposer une accusation contre les magistrats devant le Conseil10. Cette institution révèle la vraie souveraineté du peuple dans la cité. Dès lors toute lois proposée peut être dénoncée par chaque politès, si celui-ci estime qu'il pourrait être nuisible à l'intérêt général. Il s'agit de l'eisanglai. Chaque citoyen peut aussi dénoncer un magistrat s'il considère que ses jugements sont inéquitables et abusifs. Tout citoyen peut protéger la démocratie par son intervention active.

La démocratie athénienne devient la garante du mérite individuel. Il s'agit de l'axia traduite par dignitas en latin, terme qui deviendra la dignité moderne mais dont le contenu est tout différent. Car l'axia n'est pas inhérente à l'homme comme la dignité moderne, égale à tous. Le mérite est extérieur à l'être du citoyen et constitue l'appréciation de ses actes en vue de recevoir ce qu’il mérite selon la justice, les lois et le droit. Ainsi le mérite d’un kalos kagathos politès (bon citoyen) diffère de celui d'un mauvais. La démocratie athénienne ne montre aucune pitié, aucun scrupule moral pour celui qui menace gravement les structures de la cité et tente de nuire aux bons citoyens. Ainsi le mérite n'est pas incompatible avec la peine de mort comme le veut la dignité personnelle d'aujourd'hui.

L'idée d'intériorité où logent une conscience et les droits subjectifs de l'homme en tant que personne, est étrangère à l'univers moral des Hellènes. Le droit est dans la nature des choses, il est dans les échanges politiques et requiert l'art du juge pour le fixer dans un cas particulier selon les lois fondamentaux (patrôoi nomoi11), les usages ou les coutumes traditionnels et les lois positives qui sont les piliers de la cité. Il aurait été une imposture d'analyser le droit en une pluralité des droits subjectifs, tels les droits de l'homme comme on le fait aujourd’hui.

En effet, si la démocratie postmoderne annonce ses couleurs morales par la reconnaissance des citoyens comme porteurs des droits fondamentaux, la démocratie ancienne ne considère le citoyen que comme objet de droit. Le droit représente une solution juste et il est recherché par le juge grâce à sa prudence12 qui signifie la vertu du particulier. Le droit renvoie à un art et non pas à une science, à savoir qu'il relève de la dialectique hostile à tout dogmatisme13. Le dogmatisme juridique est étranger à la démocratie athénienne.

Tout absolu moral qui entre dans le domaine du droit – comme les droits de l'homme aujourd’hui – est peu compatible avec les idéaux démocratiques. Pour Périclès, le nivèlement des valeurs attachées au mérite individuel (axia) risquerait d’engendrer un grand danger tant pour le bon déroulement des affaires publiques que pour la démocratie elle-même. Il est réaliste et pragmatique. Pour être solide, tout régime – la démocratie non exclue – doit avoir des aspirations hégémoniques.

Au fond, les activités politiques de Périclès trahissent un chef plus proche des sophistes (car son regard est tourné, comme eux, vers le monde réel) que de Socrate (dont la morale est fondée sur la métaphysique). Il croit en l'efficacité du droit du plus fort. Car il aspire à faire d'Athènes une hégémonie panhellénique. Athènes doit être à la tête des autres cités. Si la démocratie sert de lustre, si elle a l'avantage de la pluralité d'opinions et d'actions qui favorisent toutes les sortes de créations, la politique du gouvernement doit être pratiquée avec une main de fer tout en profitant, par la pratique des vertus cardinales, de la démocratie. Il faut que le « corps » d'Athènes soit aussi fort que son esprit.

Périclès doit construire une armée et surtout une flotte puissantes. Il contrôle le port du Pirée. Il possède les mines de Lavrion qu'il doit exploiter au maximum. Il a besoin d'une main d'œuvre appropriée. Il a les esclaves. Le travail dans les mines est dur. Il leur incombe une tâche dure. La démocratie athénienne ne connaît aucun humanitarisme qui soit analogue à celui qui embrasse les idéaux de la démocratie postmoderne. Le travail pénible revient aux esclaves par la nature des choses. Périclès est convaincu que la physis ne pardonne aucune faiblesse.

Il organise ainsi la vie quotidienne des esclaves dans les mines de sorte qu’ il puisse prévenir et faire échouer toute éventuelle rébellion. La démocratie d’Athènes n'est point incompatible avec une discipline de fer. Des sanctions sévères sont prévues lorsque les travailleurs violent les conditions imposées même les plus cruelles.

Périclès parvient à créer la Ligue de Délos, une confédération de l'époque, qui réunit les cités grecques. Elle constitue une consolidation des forces panhelléniques pour faire front aux ennemies. Mais le stratège d'Athènes travaille avant tout pour sa cité : Athènes doit avoir le contrôle sur les autres cités. Le tribut qui revient à chaque membre de la Ligue arrive à Athènes14. Il est à la disposition de Périclès. Il arrive ainsi à avoir le contrôle tant financier que géopolitique sur les autres cités. La démocratie comme tout autre régime doit être hégémonique pour être efficace, et pour cause. Cette alliance s’exprime par une large diffusion du modèle athénien avec, entre autres, l'obligation pour les alliés d'utiliser les monnaies et les unités de poids et de mesures athéniennes, ainsi que par une centralisation du pouvoir, qui consiste notamment en un transfert de l'autorité judiciaire vers Athènes. Les historiens parlent dès lors de « l’ empire athénien ».

Enfin, le passé glorieux d’Athènes apprit à Périclès que la démocratie ne saurait ignorer ce qui fait la fierté et l’honneur de tous et qui dynamise l’hellénisme : l'identité cultuelle forgée par l'histoire, sauvegardée et consolidée par l'effusion du sang grec au nom de la patrie. Le miracle grec ne saurait s'accomplir sans la mise en valeur de l'hellénisme comme tronc, branches et feuilles de chaque citoyen. Périclès est convaincu que la négligence ou l'oubli des idéaux traditionnels de la cité affaibliraient la démocratie et provoquerait le déclin de la cité15.

Il favorise donc toute activité ou manifestation qui contribuent au rappel des racines et renouvelle les exploits faits par les ancêtres. Les patrôoi nomoi, les lois des pères, jouissent d'un respect particulier. Périclès facilite donc la pratique et l'épanouissement de tout ce qui contribue à l'exaltation de l'identité athénienne et des valeurs traditionnelles grecques sans conditions ni compromis.

A cet effet, le stratège organise des fêtes. Le théâtre devient le symbole de la puissance de cette cité face aux autres cités du monde grec. Les représentations sont à la charge des plus riches. Les spectacles sont ainsi très bon marché, et même gratuit pour les plus pauvres. Les tragédies constituent des réceptacles des leçons politiques, éthiques religieuses et de tout ce qui tourne au tour de l'histoire de l'hellénisme, car l'hellénisme comme faisceau de valeurs traditionnelles nourrit l'âme de la démocratie. Or le théâtre est un endroit essentiel pour la paideia, la formation de l’âme. La paideia tire sa vigueur de l'histoire, rappelle les devoirs patriotiques, les privilèges dont jouit le cœur grec et montre le chemin à parcourir pour accomplir son destin en tant qu'Hellène.

La religion nous apparaît comme un grand facteur d'unité entre les Hellènes. C'est le centre autour duquel gravite toute l'activité du monde grec. Etudier la religion, c'est essayer de comprendre l’idiosyncrasie de l’Hellène. Or, pour renfoncer le prestige d’Athènes, Périclès, accorde une place privilégiée à la religion, car elle constitue un pilier de la structure politique de la cité et appartient aux trésors de l'identité culturelle.

Elle participe de la politique de la cité et consolide l'art de gouverner. Même s'il n'est pas très croyant, Périclès accorde une importance certaine au culte des divinités traditionnelles, car tout écart de cette lignée de politique affaiblirait son régime et sa position, non seulement au sein de la cité mais aussi vis-à-vis des autres cités grecques. La démocratie est donc tout à fait compatible avec la théocratie.

2. Démocratie de l’ochlos16
La démocratie postmoderne jette ses fondements sur les valeurs républicaines. Elle rejoint par là la démocratie ancienne eu égard à la pluralité des dialogues dans la vie publique, et la souveraineté du peuple. Ces deux piliers renvoient, d’une part, aux droits fondamentaux de la liberté et de l’égalité et, d’autre part, au pouvoir du peuple de décider de son avenir politique par un acte créateur prioritaire : la possibilité d’élire ses représentants et d’être élu comme représentant de ses citoyens.

Cependant la démocratie postmoderne se distancie de la démocratie ancienne car elle ne reconnaît pas la hiérarchie des valeurs existentielles des Anciens. Non seulement tous les hommes sont-ils libres devant les lois mais encore l‘être humain est-il libre dès sa naissance. L’esclavage est rejeté comme incompatible avec la dignité humaine inhérente à l’être de l’homme, ainsi que le reconnaît la Déclaration des droits de l’homme de 1948, paradigme pour toute constitution d’un État de droit et de droits de l’homme.

Si la démocratie ancienne bâtit son édifice sur une cité naturelle qui engendre des citoyens, la démocratie postmoderne renverse la donne : ce sont les individus qui construisent l’État. Ceux-ci sont transformés, grâce à cette création, en des personnes, à savoir des êtres porteurs de droits fondamentaux. La démocratie postmoderne est censée écarter définitivement la subordination de la personne aux expédients politiques qui nuisent à la dignité personnelle. Cette dignité, mère-valeur de toutes les valeurs républicaines, garantissant l’intégrité de l’homme au sein de l’État et veillant à sa conservation et à son épanouissement dans l’ordre social, s’érige en un idéal républicain sans rival.

Cela se passe plus ou moins au niveau théorique et permet de parler du progrès des Modernes par rapport aux Anciens en matière de démocratie.

Toutefois nous nous interrogeons s’il s’agit d’un véritable progrès qui permet aux citoyens d’aujourd’hui de s’épanouir plus que les Anciens, tant individuellement que socialement. La réponse peut être assez nuancée. Il est incontestable que les idées de liberté et d’égalité, pierres angulaires de toute démocratie, avec la transformation de leur caractère en droits subjectifs fondamentaux, semblent garantir une meilleure sécurité pour la sauvegarde des citoyens.

La liberté et l’égalité ainsi que la possibilité d’être élu et élire, ce que l’on appelle aujourd’hui des droits politiques appartiennent à la classe des droits subjectifs fondamentaux. Dans la postmodernité, l’homme les possède en tant que personne, indépendamment de ses spécificités culturelles et ethniques. Ce n’était pas le cas de la démocratie ancienne, il faut le répéter. Soulignons qu’à Athènes, il s’agitait des prérogatives venant du droit objectif, celui qui reflétait la réalité de la cité. Parler des droits subjectifs eût été une duperie.

La démocratie postmoderne bâtit sa philosophie sur l’hybris17 humanitaire. Elle porte à l’ultime le mythe du contrat social des temps modernes et s’éloigne très sensiblement de la rationalité politico-juridique des Anciens. Je m’explique.

Tirant des leçons douloureuses de la deuxième guerre mondiale, décidée à combattre le fléau ségrégationniste poussé par le racisme et de toute forme de discrimination naturelle et culturelle, la démocratie postmoderne s’efforce d’actualiser le cosmopolitisme humaniste des stoïciens : l’humanité représente une famille universelle dont nous sommes tous des membres égaux. Cet idéal est exprimé dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 194818 qui inspire la législation du monde occidental et notamment les États de l’Union européenne.

Quelle est alors cette hybris ? C’est de considérer que la reconnaissance des droits fondamentaux et notamment de l’égalité et de la liberté peuvent faire abstraction des spécificités des peuples, de leurs cultures, de leurs traditions, de leurs besoins et de leurs modes de vie. Rappelons que la démocratie athénienne avait l’intuition de donner la priorité au particulier et non pas à l’universel – qui demeure foncièrement idéaliste et utopique –, pour réussir une justice politique équitable et profitable aux membres de la cité. Car celle-ci est un produit de la nature, mère tant de l’égalité que des inégalités, tant des libertés que des limites de cette liberté.

Pour des raisons humanitaristes, la démocratie postmoderne préfère l’universel abstrait comme fil directeur de sa politique et de ses stratégies.

L’égalité et le la liberté, puisant leur force dans une notion métaphysique : la dignité personnelle inhérente à l’être de l’homme, ont acquis grâce à la démocratie postmoderne le caractère d’absolus juridiques méritant impérativement d’être respectées. La conception de ces droits se situe alors aux antipodes du dikaion politikon (le droit de la cité) qui d’après Aristote, désigne la relation à autrui19. Le droit ne saurait être dogmatique car le dogmatisme prête à l’immobilité, alors que la vie est mouvement et changement. Le droit est dans les choses publiques, donc dans la mobilité de la res publica des Anciens.

Il est trop prétentieux de vouloir régler les problèmes sociopolitiques et éthico-juridiques à partir de la force déclamatoire des impératifs juridiques qui s’imposent aux peuples alors qu'ils sont étrangers à leurs idiosyncrasie.

La démocratie postmoderne croit pouvoir remédier aux maux de l‘humanité par des actes juridiques qui font proliférer des droits fondamentaux. Or il est utopique de vouloir modeler le comportement des hommes en ignorant les spécificités de leurs sentiments. Les normes juridiques seront sans efficacité, si elles font abstraction des mœurs.

Les droits de l’homme de l’Occident n’ont ni le même caractère, ni la même nature que ceux de l’Orient. D’ailleurs ce que l’on qualifie de droit de l’homme, c’est au fond une réclamation des citoyens pour satisfaire des nécessités existentielles. Ces sortes des nécessités varient selon les peuples. L‘universalité des droits de l’homme comme étant les mêmes pour tous relève plus d’un discours oratoire que d’une constations réaliste.

L’outil méthodologique de la démocratie postmoderne, c’est la rhétorique, contrairement à celui de la démocratie athénienne qui était l’art politique impliquant sine qua non la dialectique.

L’Union européenne joue un rôle hégémonique analogue à celui exercé par Athènes dans le cadre de la Ligue de Délos. Mais contrairement à Athènes, elle aspire, à travers la diversité des politiques étatiques de ses membres, à imposer un comportement démocratique uniforme et sans nuances pour tous. Très souvent, les seigneurs des Bruxelles prévoient des mesures contraignantes pour les peuples, et cela au nom des valeurs républicaines et des idéaux de la démocratie. Leur technique oratoire se distancie alors de l’art politique d’un Périclès qui, avant de s’enorgueillir de sa démocratie, s’efforçait de démontrer l’efficacité de ses mesures, tant aux yeux des Athènes qu’à ceux des membres des autres cités grecques, sans oublier pour autant de fournir des arguments puissants au monde non–hellénique de la supériorité méritée de son politeuma (régime politique).

La démocratie postmoderne est une démocratie qui fait prévaloir la théorie sur la pratique ; ce qui constitue une différence fondamentale de celle de la démocratie athénienne. Malgré ses défauts, ses machinations et ses scandales, la démocratie athénienne ne souffrait pas de tant d’ incohérences dont est victime la démocratie postmoderne. Nous nous expliquons.

La démocratie postmoderne a étendu le champ de l’égalité devant la loi (isonomia) à une égalité existentielle, du fait que les membres de l’humanité tout entière possèdent la mémé dignité. Il est incontestable qu’elle a réussi un progrès considérable. Selon notre logique, une démocratie ne saurait faire la distinction entre hommes libres et esclaves. Son égalité est fondée sur la réciprocité des droits acquis dès la naissant de tous ses membres. La hiérarchie des classes est incompatible avec les valeurs républicaines. L’inégalité équivaut alors à l’injustice.

Toutefois, s’il n’y a pas de distinction de classes, il y officieusement des distinctions de citoyens et de personnes. Dans l’espace démocratique d’aujourd’hui, il y a des groupes désavantagés à cause des inégalités économiques et sociales qui sévissent sans cesse.

En effet, dans cette démocratie officieusement inégalitaire, il y a « des citoyens à part entière » et des citoyens « amputés » au sens figuré, du terme : les « sans quelque chose ». Ce « sans » désigne une privation inexcusable de cette démocratie qui se bat pour l’égalité et, pourtant, s’avère inégalitaire. Elle produit des citoyens « sans ressources suffisantes pour survivre », des « sans abri », des « sans domicile fixe », des « sans travail », des « sans rémunérés dûment » et encore ceux qui n’ont pas la possibilité d’avoir le minimum nécessaire pour vivre décemment. Bref, cette démocratie tolère une distinction de classes en des citoyens et de sous-citoyens. Ce qui constitue une violation flagrante des valeurs républicaines.

Nous ne pouvons pas ici nous empêcher de rapporter les idées d’Aristote concernant la définition du juste que la démocratie postmoderne veut ignorer pour des raisons d’expédients politiques.

Dans l’Éthique à Nocomaque, le Stagirite définit le dikaion (le droit juste) comme ce qui est légal et ce qui est égal20. Celui-ci n’exprime pas seulement une simple réciprocité mais en outre une proportionnalité équitable. Ainsi pour le Stagirite, un trop de richesse par rapport à un trop de misère constitue une injustice de fait, même si la première est justifiée par la loi.

Quant à la liberté d’aujourd’hui, elle est à tort interprétée comme la possibilité de faire ce que l'on veut quand on veut puisqu’on la considère comme un droit subjectif fondamental. Il lui manque l’essentiel : cette dimension qui fait qu'à chaque liberté est rattaché un devoir qui assure la coexistence paisible entre citoyens sans dégénérer en permissivité aveugle. La iségoria, liberté de la parole sans crainte d’être réprimée est étendue à toute forme de liberté au point de confondre, dans la démocratie postmoderne, liberté et licence.

En effet, la liberté postmoderne est conçue comme une liberté universelle en octroyant le plein pouvoir à son propriétaire de tout dire et de tout faire. C’est pourquoi, sous son aspect de liberté d’auto-détermination, la femme a le droit de sacrifier l’embryon comme étant la chair de sa chair. Pousser à sa fin ultime, cette sorte de liberté devient très inopérante, voire dangereuse. Or cette démocratie a compris que la liberté de soi ne saurait exister dans son extension illimitée de droit subjectif absolu et universel. Car aucune de ses expressions ne saurait être toujours permise inconditionnellement. Des propos qui déforment et révisent l’authenticité des faits historiques (tel le cas du génocide juif par le Nazi) sont punis par les lois. De même dans une communauté multiculturelle, il est interdit d’émettre des opinions discriminatoires qui fustigent les minorités. Il est en outre illégal de rapporter des faits exacts qui pourraient directement ou indirectement stigmatiser les individus à cause de leurs spécificités culturelles.

Ainsi la liberté d’expression ne saurait représenter un droit ‒ principe juridique fondamental ‒ qui s’impose, rigide, comme un impératif anthropologique. Il s’agit plutôt d’un énoncé général, théorique, qui a besoin de précision pour pouvoir s’appliquer dans les échanges sociaux entre citoyens. Dès lors ce droit peut s’analyser en deux volets : a. Celui de l’acceptation de la liberté de la parole en tant que valeur républicaine et b. Celui de l’usage dialectique qui permet des exceptions à ce principe, régies par les lois positives afin d’assurer son application effective. Dans la praxis, ce que l’on appelle liberté désigne une permission de liberté, car on lui assigne toujours des limites. Cela témoigne de la force du légalisme juridique qui fait dépendre les droits fondamentaux de la volonté du législateur et non pas d’un naturalisme ontologique qui consacre l’homme comme personne, à savoir porteur des droits subjectifs. L’article quatre de la Déclaration des droits de l’hommes de 1789 est d’une éloquence limpide à ce sujet : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi ».

Cette loi est censée représenter la volonté générale. C’est un point essentiel qui marque une différence substantielle entre la démocratie athénienne et la démocratie postmoderne. L’authentique volonté générale, ainsi que le souligne Rousseau ne saurait être représentée21. Athènes a le privilège, grâce au petit nombre de ses citoyens rassemblés sur la Pnyx, de voter les lois qui expriment fidèlement la volonté générale. En revanche, la vraie signification de la volonté générale moderne et postmoderne désigne l’autorisation accorder par les citoyens aux parlementaires de s’exprimer à leur place, à savoir de prendre sur leur compte toutes les décisions cruciales qui concernent le présent et l’avenir. S’agirait-il vraiment d’une liberté démocratique qui consiste à façonner sa vie et le vivre ensemble comme on le désire ? Ce qui arrive souvent, c’est la domination de la minorité par la majorité. La souveraineté du peuple est alors exprimée par la souveraineté de la volonté de se représentants. Et l il y toujours un décalage certain entre la souveraineté de l’un-multiple et celui de ses représentants.

La souveraineté du peuple en tant qu’une et indivisible a reçu plusieurs coups et en est venu à désigner une proclamation rhétorique, un emblème démocratique sans répercussions substantielles sur le peuple. Cette souveraineté devient délétère aujourd’hui avec l’hégémonie exercée par l’Union européenne sur les peuples du vieux continent du fait qu’ils ont consentit à sa volonté très souvent par leurs représentants.

3. De l’authentique et du falsifié
Un premier constat s’impose ici : alors que la démocratie athénienne, comme embrassant la globalité de ses citoyens, peut signifier l’authentique règne du peuple, la démocratie postmoderne est celle de la représentation renvoyant à une image déformée de ce qui est authentique.

L’union européenne, promotrice d’un humanitarisme trop ambitieuse, a commis l’hybris de vouloir réaliser une démocratie planétaire. A cet effet, elle se montre très réticente à l’idée de nation22 et à toutes les valeurs traditionnelles qui y sont attachées comme l’héritage culturel, les convictions religieuses, l’attachement fidèle à l’histoire du pays et les spécificités identitaires. Elle met à la place, au nom d’une égalité sans distinction de chaque être humain en tout lieu et en tout circonstances, la laïcité.

La laïcité favorise l’effacement des spécificités culturelles de chaque nation au profit d’un réassemblage non-différencié des peuples, la fin de l’identité historique au profit de l’identité fabriquée selon les critères qui ne correspondent pas à l’idiosyncrasie de chaque homme en tant que citoyen de son pays. Enfin, comme sœur de l’égalité, la laïcité préconise la mixité obligatoire entre ensembles sociaux qui risquent d’entrer en collision à cause des différences de leurs modes de vivre.

Rien de plus actuel que les remarques de Rousseau qui se rapportait déjà aux différences fondamentales entre les Anciens et les Modernes :

« Tous (les anciens législateurs) cherchèrent des liens qui attachassent les Citoyens à la patrie et les uns aux autres, et ils les trouvèrent dans des usages particuliers, dans des cérémonies religieuses qui, par leur nature, étaient toujours exclusives et nationales (voyez la fin du Contrat social), dans des jeux qui tenaient beaucoup les citoyens rassemblés, dans des exercices qui augmentaient avec leur vigueur et leurs forces leur fierté et l'estime d'eux-mêmes, dans des spectacles qui, leur rappelant l'histoire de leurs ancêtres, leurs malheurs, leurs vertus, leurs victoires, intéressaient leurs cœurs, les enflammaient d'une vive émulation, et les attachaient fortement à cette patrie dont on ne cessait de les occuper. Ce sont les poésies d'Homère récitées aux Grecs solennellement assemblés (…) ce sont les tragédies d'Eschyle, de Sophocle et d'Euripide, représentées souvent devant eux, ce sont les prix dont, aux acclamations de toute la Grèce, on couronnait les vainqueurs dans leurs jeux, qui les embrasant continuellement d'émulation et de gloire, portèrent leur courage et leurs vertus à ce degré d'énergie dont rien aujourd'hui ne nous donne d'idée, et qu'il n'appartient pas même aux modernes de croire. S'ils ont des lois, c'est uniquement pour leur apprendre à bien obéir à leurs maîtres, à ne pas voler dans les poches, et à donner beaucoup d'argent aux fripons publics. S'ils ont des usages, c'est pour savoir amuser l'oisiveté des femmes galantes, et promener la leur avec grâce »
« S'ils s'assemblent, c'est dans des Temples pour un culte qui n'a rien de national, qui ne rappelle en rien la patrie, et tourné presque en dérision; (…) c’est dans des fêtes où le peuple, toujours méprisé, est toujours sans influence, où le blâme et l'approbation publique ne produisent rien ; c'est dans des cohues licencieuses, pour s'y faire des liaisons secrètes, pour y chercher les plaisirs qui séparent, isolent le plus les hommes, et qui relâchent le plus les cœurs. Sont-ce là des stimulants pour le patriotisme ? Faut-il s'étonner que des manières de vivre si dissemblables produit des effets si différents, et que les modernes ne retrouvent plus rien en eux de cette vigueur d'âme que tout inspirait aux anciens ? »23.

Si la laïcité est la fille cadette de l’égalité et toutes les deux favorisent, de bonne foi, l’uniformisation et la médiocrité des citoyens de chaque pays, elles sont pourtant des facteurs qui prônent sans conditions la tolérance démocratique et le respect de la pluralité des sentiments religieux. En particulier, à ses débuts, la laïcité impliquait la neutralité de la démocratie et visait la coexistence de plusieurs courants religieux au sein de la même société. Le sentiment religieux ne pourrait être manifesté que dans la vie privée. Depuis la globalisation, elle s'avère comme élément indispensable des sociétés multiculturelles, au nom de la liberté de l'esprit et de l'expression de la parole (sous certaines réserves) dans un climat de respect mutuel. Pourtant la réalité est tout autre. Il est très difficile d'opérer la dichotomie de la personne en citoyen laïc et individu croyant24. Imposer des règles de conduite à des groupes multiculturelles profondément imprègnes du sentiment religieux qui représente un élément constitutif de leur être, s'avère peu réalisable. Car ce sentiment ne traduit pas seulement la Foi en une Transcendance, mais en outre un élément non négligeable de l'identité personnelle.

Vouloir imposer la laïcité de force au nom de la paix commune est souvent ressenti comme une atteinte à l'être intime de l'homme qui constitue son essence, sa manière de vivre et garantit son intégrité.

L’actualité internationale a démontré que la laïcité est vécue comme une amputation de l'être de l'homme. Or au lieu d'apporter la paix, elle devient la pomme de discorde dans les communautés multiculturelles. Il n'est pas étrange qu’elle provoque des réactions racistes et ségrégationnistes25 Au lieu de préparer donc l'accueil de l'autre, elle suscite le mépris et souvent la haine envers lui et pousse à son rejet.

4. Epilégomènes
La démocratie athénienne s’inspire d’un univers d’ordre (cosmos) qui dépasse la finitude de l’homme, même si le climat démocratique d’Athènes n’est point exempt de machinations et de troubles politiques. La démocratie postmoderne, celle notamment promue par les dirigeants de l’Europe, est bâtie sur les ruines du Mal (dont l’incarnation est Hitler) qui l’a profondément meurtrie au XXe siècle :

« Humanité assiégée, modernité régressive, figures anciennes de la barbarie se faufilent au milieu des fracas moderniste : nous percevons peut-être mieux, à ce stade, la gravité des éboulements qui menacent. Et surtout leur profondeur (…) Cet effritement progressif, cet évidemment insidieux du principe d’humanité, nous aimerions en conjurer le risque »26.

C’est pourquoi la démocratie postmoderne s’est adonnée au culte de l’universel.

La démocratie d'Athènes, consciente du risque d'une déformation identitaire de ses citoyens, du danger aussi de voir la dénaturation de ses citoyens, la transformation de sa géopolitique, et hostile à tout nivellement des valeurs existentielles, savait accueillir l'autre au nom du droit d'hospitalité tout en prenant les mesures nécessaires pour sauvegarder son intégrité historique appuyée sur les traditions ancestrales. La stratégie de la démocratie athénienne, contrairement à la démocratie postmoderne qui accueille l’autre sous conditions, savait distribuer des droits aux autres tout en soulignant la primauté de ses valeurs culturelles. Elle exigeait l’accomplissement de leurs devoirs avant de leur accorder des droits raisonnables.

Recibido el 25 de mayo de 2015. Aceptado el 23 de junio de 2015.

NOTAS

1 La xénélasie (xenēlasia) est une pratique consistant à expulser de manière régulière les étrangers de son territoire T.-J. Figueira, « Xenelasia and social control in classical Sparta », Classical Quarterly, 53 /2003, p. 44-74.

2 Si un métèque non barbare (c’est-à-dire grec) accomplissait de hauts exploits pour la cité, il pouvait recevoir, à titre exceptionnel et en remerciement de ses actions, la citoyenneté athénienne, moyennant finances. Une telle décision ne pouvait être prise qu'à la suite d'un vote de l'Ecclésia réunissant 6000 citoyens. Ces naturalisations sont donc très rares et solennelles Pour plus de détails voir M. Finlay, Démocratie antique et démocratie moderne, Payot, coll. « Petite bibliothèque », 2003. C. Mosse, Histoire d'une démocratie : Athènes. Des origines à la conquête macédonienne, Seuil, coll. « Points Histoire », 1971 ; Politique et société en Grèce ancienne : le « modèle » athénien, Flammarion, coll. « Champs », 2000. J. de Rommilly, Problèmes de la démocratie grecque, Herman, coll. « Agora », 1998 ; L'Élan démocratique dans l'Athènes ancienne, Éditions De Fallois, 2000.

3 M. Oswald, Nomos and the Beginnings of the Athenian Democracy, Oxford, Clarendon Press, 1969, le chapitre «isonomia and Athens », p. 96-136. M.-C. Amouretti – F. Ruze, Le Monde grec au temps classique, Paris, Hachette Supérieur, Édition 2003, p. 139.

4 Voir Aristote, Politique, ch. II.

5 Contrairement aux modernes qui conçoivent la personne humaine comme propriétaire d’un libre arbitre, le citoyen grec a une liberté existentielle très restreinte. Il est hétéronome, comme soumis au destin et aux lois du cosmos.

6 J. A. Dabdab Trabulsi, Participation directe et démocratie grecque: une histoire exemplairen ? P. U. de Franche Comte, 2006, p. 41. F. Chatelet, Périclès et son siècle, Paris, Éditions Complexe, 1990, p. 85.

7 Cf. Platon, République, 555b 4-6.

8 Thucydide, La Guerre du Péloponnèse, Paris, La Pléiade, 2002, L. II 6 40, p. 813.

9 M.-H. Hansen, The Athenian Democracy in the age of Demosthenes, Oxford, 1987, p. 205-218.

10 P. Fröhlich, Les cités grecques et le contrôle des magistrats (IVe-Ier siècle avant J.-C.), Paris, Droz, 2004, p. 312.

11 Cf. Platon, Les Lois 680 a ; 793 b.

12 Aristote, Éthique à Nicomaque, 1141 b 15-17.

13 Ibid., 1132 a 1-15.

14 Cf. Plutarque, Aristide, 24-25.

15 M. Sauvage, Socrate et la conscience de l’homme, Paris, Seuil, 1959, p. 14 : « Depuis Solon, la démocratie athénienne représente les garanties d’un passé, non les tendances vers un avenir. Nos étiquettes issues du XIXe siècle ne s’appliquent pas, et pour cause, à sa vie politique ; à Athènes la démocratie est « réactionnaire » (…) la cité vit spirituellement d’héritage ; elle a une patrimoine d’âme à maintenir, et la religion d’État fait partie de ce patrimoine ».

16 La foule. Un groupement de gens. Multitude de personnes.

17 Nous entendons ici l’hybris comme une erreur contre une morale raisonnée et sobre. Cette hybris empêche l’homme d’être conscient de sa place dans l'univers : à la fois de son rang social dans une société hiérarchisée et de sa condition humaine face à son destin de mortel.

18 Cf. Le Préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 : « Considérantque la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde ».

19 Aristote, L’Éthique à Nicomaque, 1130 a 1-5.

20 Aristote, Éthique à Nicomaque, 1129 a 30-31.

21 G. Mairet, Le principe de souverain moderne, Paris, Folio/Essais, 1996, p. 89.

22 Cf. J.-L. Harouel, Revenir à la nation, Paris, J.-C. Godefroy, France, 2014, notamment le chapitre sur « Les nations européennes fragilisées par la post-christianisation du droit », p. 31 et sqq.

23 Jean-Jacques Rousseau (1771-72), Considérations sur le gouvernement de Pologne, p. 10-11. Ce document est produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi Site web: http://pages.infinit.net/sociojmt

24 « Les replis identitaires d’aujourd’hui sont les conséquences de la fermeture à la transcendance naturelle qui anime toute personne », L. Stalla-Bourdillon, « L’ignorance religieuse ou l’impossible laïcité », Le Figaro du 16 mai 2015, p. 14.

25 Cf. Idem : « L‘effacement des religions en à peine quelques décennies a aussi éclipsé les valeurs démocratiques. Ne soyons pas étonnés : il faut un absolu pour que l’homme détermine des valeurs. Si cet absolu est l’homme autoréférent, il n’a plus d’autres valeurs que lui-même, et finit par ne plus supporter les autres, ni lui même.(…) L’humanisme républicaine devrait s’honorer de faire primer l’autorité de la pensée sur celle de la force ».

26 J.-C. Guillebeaud, Le principe d’humanité, Paris, Seuil/Points, 2002, p. 401.




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