Revista europea de historia de las ideas políticas y de las instituciones públicas
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UN NOUVEAU DROIT PUBLIC INTERNATIONAL AU MILIEU DU XVIe SIECLE: «LA PHILOSOPHIE CIVILE ET D’ESTAT» DE JEAN D’ARRERAC
Gérard D. Guyon
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Gérard D. Guyon (2011): "Un nouveau Droit public international au milieu du XVIe Siècle: «La Philosophie Civile et d’Éstat » de Jean D’Arrerac", en Revista europea de historia de las ideas políticas y de las instituciones públicas, n.o 1 (marzo 2011), pp. 25-41.
RESUME: Dans la premi�re moiti� du XVIe si�cle, le droit international public est encore en gestation. Les grands auteurs espagnols renomm�s comme Su�rez, Vitoria, et � plus forte raison Huig de Groot, ne sont pas encore entr�s sur la sc�ne intellectuelle juridique. On commence � s�int�resser, de mani�re originale, � l�id�e d��tat et � la conception de la souverainet�. Dans cet article on va r�fl�chir sur la Philosophie Civile et d��stat de Jean D�Arr�rac, et concr�tement sur 1) la r�affirmation du r�alisme juridique et de la philosophie chr�tienne de la paix et 2) le pragmatisme chr�tien au service de la communaut� universelle du genre humain.
MOTS CLE: Droit public international, Jean d�Arr�rac, Philosophie civile et d��stat.
RESUMEN: Durante la primera mitad del siglo XVI, el Derecho internacional p�blico est� a�n en gestaci�n. Los grandes autores como Su�rez, Vitoria o Huig de Groot a�n no han entrado a formar parte de la escena jur�dica intelectual. En este per�odo, comienza a despertar inter�s, de manera original, la idea de Estado y la concepci�n de soberan�a. As�, en el presente art�culo se reflexionar� sobre la filosof�a civil y de Estado de Jean Arr�rac y, m�s concretamente, en torno a 1) la reafirmaci�n del realismo jur�dico y de la filosof�a cristiana de la paz y 2) el pragmatismo cristiano al servicio de la comunidad universal del g�nero humano.
PALABRAS CLAVE: Derecho p�blico internacional, Jean d�Arr�rac, Filosof�a civil y de Estado.
1. Introduction
Dans la premi�re moiti� du XVIe si�cle, le droit international public est encore en gestation. Les grands auteurs espagnols renomm�s comme Su�rez, Vitoria, et � plus forte raison Grotius, ne sont pas encore entr�s sur la sc�ne intellectuelle juridique. Les �tudes savantes n�accordent d�ailleurs que peu de place � ceux qui pourraient porter le nom de �pr�-fondateurs� du droit des gens. Elles en ignorent leurs noms et leurs �uvres, alors que pourtant, avant le puissant mouvement des id�es politiques et religieuses qui culmine en 1630, des r�flexions originales se d�veloppent d�s la premi�re moiti� du XVIe si�cle . Elles commencent � s�int�resser, de mani�re originale, � l�id�e d�Etat et � la conception de la souverainet�. Elles sont particuli�rement sensibles � la question des rapports des peuples entre eux, puisque ceux-ci ne peuvent plus s��tablir sur la vieille loi chr�tienne qui les avait gouvern� et r�uni pendant des si�cles. Et c�est donc un sentiment d�urgence qui guide leur conduite, au moment crucial des guerres de religion qui d�chirent l�Europe et opposent les Catholiques et les R�form�s .
La raison de cet oubli ou de cette indiff�rence des penseurs est connue. Les doctrines des canonistes et des th�ologiens m�di�vaux : celle d�Hugues de Sainte-Marie, de Vincent de Beauvais, de Gilles de Rome, et tout particuli�rement celle de Saint-Thomas d�Aquin, ne cessent d��tre invoqu�es pour analyser toujours plus profond�ment les droits r�ciproques des Etats et l�histoire du droit des gens en g�n�ral . Elles occupent encore pratiquement toute la r�flexion juridique mais se trouvent en d�calage avec la nature du conflit religieux interne qui d�chire alors int�rieurement les Etats chr�tiens, avant de les opposer les uns aux autres.
C�est ce qui nous permet de constater que lorsque le magistrat bordelais Jean d�Arr�rac fait para�tre � Bordeaux, en 1558, un ouvrage intitul� La philosophie civile et d�Estat, divis� en l�ir�narchie et la pol�marchie , il agit en pr�curseur en m�me temps qu�il prend place dans une lign�e savante d�analyste politique et de penseur du droit international public
La lecture de son livre ne doit pas s�arr�ter � des impressions superficielles qui montrent que l�auteur bordelais n��chappe pas aux reproches que l�on fait habituellement � ce genre d��uvres qui sont en g�n�ral trop moralisantes et font une place excessive � l��rudition. Presque tous les livres de cette p�riode en t�moignent. Mais le juriste et publiciste Jean d�Arr�rac fait aussi preuve d�une ma�trise originale dans la mani�re de traiter les questions politiques. Il conna�t tr�s bien les grands courants de la pens�e philosophique ant�rieure et analyse, de fa�on clairvoyante, la nature des d�bats politiques de son temps. Il est �galement � l�aise dans l��nonc� des grands conflits th�ologiques.
Ces remarques introductives sont donc un plaidoyer en sa faveur. Elles justifient qu�il soit sorti d�un oubli trop complet, comme celui qui a atteint d�autres auteurs du XVIe si�cle qui ont d� attendre que l�on se penche r�cemment sur leurs travaux pour y trouver un r�el int�r�t dans l�univers de l�histoire des institutions et du droit public . Comme souvent, les grands �crivains leur font une ombre excessive. La lecture de la � Philosophie civile et d�Estat � montre cependant la n�cessit� de faire une place au magistrat bordelais parmi les auteurs d�une r�flexion doctrinale qui cherche � renouveler la mani�re dont on doit consid�rer le droit des peuples, la nature et les modes d�expression du pouvoir, ses limites � particuli�rement dans la guerre . La travail de Jean d�Arr�rac doit �tre mis, au moins, � c�t� de ceux de Fran�ois de la Noue avec son Discours politiques et militaires � 1531-1591, de Pierre de Faure de Saint-Jorri : auteur toulousain des � Semestria � publi� en 1570 , des � Quatre Livres sur la Guerre � de Ma�tre Jehan Robert (1595), du � De Republica libri sex � de Pierre Gr�goire de Toulouse (1596) et du grand livre de Louis Turquet de Mayerne � De la monarchie aristocrato-d�mocratique ou le gouvernement compos� et mesl� des trois formes de l�gitimes r�publiques � imprim� en 1611 mais compos� en 1591 . Toutefois, le projet initial de Jean d�Arr�rac n�a pas �t� compl�tement achev�. L�auteur annonce la r�daction d�un trait� complet sur la paix et la guerre, or son livre consacr� � la Philosophie d�civile et d�Estat n��tudie, en r�alit�, que de la paix. Cette r�serve faite, sans que l�on puisse savoir si la deuxi�me partie a v�ritablement �t� mise en chantier, on est tout de suite frapp� par un aspect remarquable dans la pens�e du magistrat du Parlement de Bordeaux, et qui en fait � de ce point de vue � un lointain anc�tre pr�curseur de Montesquieu : le lien �troit qui unit, dans le juriste, le th�oricien de la chose publique et le praticien.
On conna�t la place �minente des juristes dans la philosophie du XVIe si�cle. Ce sont eux qui construisent sur des bases positives, mais avec des normes �thiques contraignantes, l�autorit� du droit. Toutefois, ce qui les distingue les uns des autres, c�est le r�alisme plus ou moins fort qui les guide. Or, chez le magistrat bordelais, le souci de la conciliation, de la concordance des r�gles, une certaine obsession de la recherche de voies m�dianes pour unir des courants oppos�s, sont constants. Ce qui compte chez lui, ce n�est donc pas le th�oricien habile � jongler avec les divers syst�mes de pens�e � de l�Antiquit� jusqu�� son temps. Jean d�Arr�rac est en effet particuli�rement ouvert au droit positif appliqu� par les tribunaux. Il tient toujours, en bon praticien, � justifier juridiquement les int�r�ts divergents d�une affaire comme d�un point de vue, et � en d�gager des solutions pratiques viables. C�est en consid�rant cette finalit� qu�il entend transposer cette m�thode, appliqu�e jusque l� dans le domaine classique du droit et de la justice, dans celui des modes de gouvernement et de la vie politique � relations internationales comprises. C�est � ses yeux, le seul moyen possible de gouverner, en d�passant des antagonismes qui semblent irr�ductibles et en tout premier lieu ceux qui r�sultent des d�bats religieux.
Le penseur bordelais, en effet, ne doit pas �tre rang� parmi le courant pacifiste des ir�nistes. Il ne croit gu�re � la sociabilit� naturelle de l�homme. Il est plut�t partisan d�un r�alisme mod�rateur qui n�emp�che cependant pas de faire appel, lorsque cela est n�cessaire, aux doctrines morales : particuli�rement celles qui sous-tendent l�autorit� des fonctions et la grandeur de son office de juge. Sans doute n�est-il pas exempt d�un certain pathos litt�raire, dans la formulation de cette conception de la t�che du magistrat. Mais au-dessous, la trame v�ritable de sa pens�e est parfaitement claire. Sa d�monstration est logique. En bon juriste, il entend se servir du droit comme de l�outil le plus propre � construire l�harmonie la plus parfaite possible d�une soci�t� humaine. Un droit qui ne peut agir que dans une soci�t� naturelle. Celle-ci est vue � la fois comme le lieu o� doit op�rer le droit et en tant que donn�e productrice de normes communes dont Dieu a inscrit une fois pour toutes les r�gles g�n�rales dans son D�calogue. Bien que comme Vitoria, plus tard, il soit d�j� convaincu que c�est dans cette derni�re (la soci�t� de nature) que r�sident les �l�ments positifs qui donnent au pouvoir son mode d��tre et d�agir.
Ainsi donc le juge et le penseur ne sont jamais s�par�s chez d�Arr�rac. Il en donnera des preuves suppl�mentaires dans un autre travail .
Ces points soulign�s, il ne faut pas non plus exag�rer l�originalit� de cette attitude. L�optimisme raisonn� qui le caract�rise ne lui est pas sp�cifique. Il est au c�ur des grandes questions qui agitent les �uvres de tous ceux qui r�fl�chissent sur le droit public, depuis le XIIIe si�cle, � la suite de Saint Thomas, selon une m�thode qui allie la foi en Dieu et la raison, et qui traitent de la paix, la guerre, l�Etat, la souverainet� des princes, la diplomatie . Cependant, il faut insister sur ce qui distingue les ouvrages du milieu du XVIe si�cle des �uvres pr�c�dentes : c�est qu�ils sont �crits sous la pression des �v�nements.
Il faut ajouter aussi � ces points, qu�il y a �galement, dans cette nouveaut�, une question de m�thode : les juristes sont plus familiers que les autres penseurs des m�canismes des institutions. Ils sont plus proches du r�el et, plus facilement que les th�ologiens qui ont domin� longtemps la pens�e politique, il leur est possible de proposer des solutions concr�tes et de les imposer. En outre, leur humanisme � qui appara�t parfois tellement modeste, sur le plan de l�architecture philosophique, qu�il est consid�r� avec un certain m�pris par les � vrais philosophes � � les am�ne � confronter les diverses syst�mes juridiques avec le droit romain qui leur est tr�s familier car ils en font encore un usage judiciaire constant . Pour Bordeaux, on peut �crire, � propos de la cour du Parlement de Bordeaux qui doit �tre rattach�e largement aux Pays de droit �crit, que l�application du droit romain rel�ve d�une pratique jurisprudentielle habituelle. Les juges bordelais sont, jusqu�� la fin du XVIIIe si�cle, obs�d�s par la recherche d�une actualisation des r�gles romaines. Le non usage du droit romain est, � leurs yeux, la cons�quence d�une mauvaise compr�hension de la r�gle par le juge, plut�t que la cons�quence du caract�re anachronique qu�elle pourrait r�v�ler. � ce titre, les magistrats sont aussi int�ress�s par les grandes philosophies morales de l�Antiquit� : ils sont donc � la fois, arch�ologues et juristes. C�est dans cet esprit qu�ils se rallient, presque unanimement, � la vieille discipline cic�ronienne du � ius in artem redigere �. Leur art consiste � trouver dans le droit une discipline m�thodique et � poursuivre la recherche de l�unit� juridique. C�est ce dont t�moigne �galement leur patiente et opini�tre attitude � l��gard de la r�daction et de l�uniformisation des coutumes .
Tous ces caract�res sont tr�s identifiables chez Jean d�Arr�rac, particuli�rement dans l�aspect majeur de son livre relatif au droit des gens. Les probl�mes pos�s concernent l�objet final du droit. Tout d�abord, dans l��nonc� de trois questions cruciales:
- O� trouve-t-on, dans le droit, les �l�ments qui permettent d�assurer � l�Etat, � la soci�t�, aux formes de gouvernement, une p�rennit� qui ne risque pas d��tre remise en cause dans les �v�nements qui agissent sur les peuples ou qui touchent � la succession des monarques. Ceux qui rallieraient tous les suffrages, et seraient communs � tous les pays ?
- En ce qui concerne les relations entre les peuples, ceux-ci doivent-ils vivre en parfaite autarcie politique, �conomique, culturelle ? Doivent-ils se fermer totalement sur eux-m�mes ou au contraire : � entrer en soci�t� � sous l��gide d�un droit commun, un jus gentium qui les r�unirait naturellement, sans qu�ils eussent besoin de proc�der � des modifications de leur droit interne au prix d�abandons insupportables ?
- Comment cette relation doit-elle se constituer et quelle doit �tre la place des juristes et quel r�le vont y jouer la diplomatie et la guerre ?
� ces interrogations, le juriste bordelais Jean d�Arr�rac apporte deux s�ries de r�ponses.
La premi�re prend la forme d�une r�affirmation du r�alisme juridique et de la philosophie chr�tienne de la paix qui doivent d�passer les limites canoniques classiques du droit de la guerre.
La deuxi�me insiste sur la n�cessit� d�une �volution des id�es et sur un pragmatisme chr�tien au service de la communaut� universelle du genre humain.
2. La r�affirmation du r�alisme juridique et de la philosophie chr�tienne de la paix
Le juriste bordelais r�pond � cette premi�re interrogation en partant de l�existence d�un imp�ratif essentiel: la paix. Elle doit �tre le but ultime poursuivi les communaut�s humaines, les Etats. Par sa fonction et la nature de son autorit�, le magistrat est un homme de paix. Sa fonction se trouve par l�-m�me port�e � son apog�e. Il est ministre de la paix, pr�tre de la concorde. Cela est tr�s clairement expos� lorsque d�Arr�rac �crit � Le droit des gens, c�est la garantie de l�harmonie � et fait r�f�rence � la vieille conception augustinienne de la � pax ordinata concordia � .
La paix est donc la concorde r�gl�e. Mais elle est aussi, pour lui, une notion juridique fondamentale. Elle est l�ach�vement du droit, sa r�alisation parfaite . Plus tard, Jean Bodin utilisant le m�me langage, parlera des juristes comme des � conservatores pacis �. Car ce sont eux : les officiers de justice et de finances, les militaires, les diplomates qui construisent sur une � base positive, mais avec des normes �thiques, ce r�alisme int�gral qui reconna�t l�autorit� du droit � . Cependant, leurs interventions ne s�inscrivent pas dans la m�me signification ni la m�me port�e que celles qui conduisaient l�action de leurs illustres devanciers m�di�vaux. En effet, les hommes du Moyen �ge revendiquaient pour la religion un r�le exclusif d�inspiration et de juge de l�action politique, sociale, �conomique, culturelle. Rien n��chappait � la norme religieuse qui englobait, par sa finalit� ultime, dans un ordre ontologique intangible, l��tre m�me du droit et de la justice. Le magistrat ne pouvait qu�en �tre que simplement l�interpr�te, encore mieux le serviteur.
Chez Jean d�Arr�rac, un examen superficiel semble montrer que l��quilibre des puissances para�t s��manciper de l�orbite strictement religieuse qui avait �t� la sienne. Comme cela a �t� retenu par des �tudes qui anticipent constamment sur les id�es des jus-naturalistes du XVIIe et plus encore celles des philosophes des Lumi�res. Mais ce n�est pas le cas. Sa finalit� reste inchang�e. C�est seulement la mise au point de l�harmonie devant pr�sider � la paix qui acquiert une plus grande autonomie. Certes, Arr�rac n�est pas le seul � s�interroger. Chez les publicistes du droit international, la question est pos�e de bonne heure. Car depuis l�apparition des grands d�bats th�ologiques internes � la foi chr�tienne, depuis les querelles politiques et les conflits arm�s qui les ont suivis, la r�solution de la paix est devenue cruciale. Elle est non seulement plus actuelle mais aussi plus essentielle, du fait de l�affirmation croissante des nations et de l�absolutisme politique. En effet, dans le m�me temps qu�elles compromettent l�id�e de nations chr�tiennes r�unies dans une forte et exclusive unit� religieuse, les guerres de religion entra�nent, paradoxalement, un regain en faveur de la religion, assorti d�une obligation � la tol�rance. Car, si l�on prend l�exemple des Fran�ais, les contraintes n�es de l�impossibilit� de trouver un terrain d�accord, sur le plan th�ologique et eccl�sial, les obligent, malgr� tout, � tol�rer en leur sein l�existence d�une autre confession religieuse. Ainsi se trouve cr��e la n�cessit� d��tablir une base juridique par le moyen de laquelle ces rapports conflictuels seraient r�concili�s.
Ce sont ces conditions internes qui constituent, pour Jean d�Arr�rac, des sortes de pr�misses pour une analyse nouvelle des relations entre les Etats. En effet, si le caract�re absolu de la souverainet� ne peut pas s�opposer au pluralisme religieux, sans risque d��clatement du corps social et conduire m�me � la guerre civile, il ne peut pas non plus faire obstacle � la multiplicit� et au d�veloppement des autres Etats, avec qui la puissance publique doit finalement entrer en relation.
C�est alors que l�intervention et la renaissance du jus gentium appara�t comme in�luctable.
Il ne faut cependant pas croire que l�auteur bordelais va jusqu�� imaginer qu�il y a une identit� de mouvement entre le renoncement � l�organisation d�une soci�t� universellement sup�rieure aux Etats � du type chr�tient� m�di�vale ou th�ocratie pontificale � et la recherche d�une communaut� de principes (entre des groupes nationaux constitu�s et renforc�s dans la r�gle finale du � cujus regio ejus religio �, selon laquelle les peuples doivent suivre la religion du Prince). Cette pens�e lui est �trang�re. Il se situe, de toute fa�on, � l��cart des th�ories id�alistes dont les humanistes de la Renaissance se sont faits une sp�cialit�, en pseudo-continuateurs des th�ologiens m�di�vaux, et qui n�h�sitent pas � puiser dans un h�ritage prot�iforme (biblique, platonicien, cic�ronien), pour donner de nouvelles bases � la soci�t�, et pour qui les normes morales valent plus que les r�gles juridiques .
Bien au contraire, le parlementaire bordelais appartient pleinement au courant r�aliste. Il ne croit pas que la paix soit une vertu donn�e. Elle n�est m�me pas l�apanage d�un Prince vertueux qui pourrait triompher de tout, en vertu du legs de la royaut� davidique qui lui a �t� transmis et qui a trouv� dans le rex christianissimus une forme et des manifestations renouvel�es . Presque sceptique sur ce point, et en tout cas profond�ment pragmatique, d�Arr�rac tient la guerre, la violence, les conflits entre les int�r�ts des hommes comme des ph�nom�nes in�vitables, de m�me que la maladie, la famine et la mort. L�observation de l�histoire, ainsi que celle du pr�sent l�a convaincu qu�il s�agit l� d�un �tat permanent de l�humanit�. Les guerres sont inscrites dans le c�ur de l�homme, et sans s�appuyer excessivement sur la lettre de la Bible, il note qu�elles doivent tout autant aux cons�quences de la faute originelle qu�� celles de la libert� humaine dont la cr�ature de Dieu ne sait que faire un mauvais usage, sans la foi qui la guide. Ces consid�rations th�ologiques classiques r�affirm�es, elles ne l��loignent cependant pas de la r�alit� la plus concr�te. Son jugement est tranch�: il tient les fran�ais pour un peuple belliqueux.
Il va aussi au-del�, et d�veloppe son analyse d�une mani�re si large que le lecteur se trouve entra�n� � voir dans les fondations de son �tude de la guerre, une conception presque moderne de la paix et de la guerre, de nature biologique et sociologique .
La guerre est, on le sait, dans la tradition canonique, un mode de r�solution des conflits. C�est toutefois un instrument qui ne doit �tre utilis� qu�en toute derni�re extr�mit�. C�est ce qui ressort de la maxime augustinienne � Pacem debet habere voluntas, bellum necessitas � qui a �t� ins�r�e dans le D�cret de Gratien et est reprise textuellement par les auteurs m�di�vaux jusqu�au XVIIe si�cle . Chez Saint-Thomas, la paix est la tranquillit� de l�ordre, non du d�sordre .
Le but de la guerre contient cette id�e. Il s��difie autour de deux notions cardinales telles que les formulent les canonistes et les scolastiques : la � restitutio et la vindicatio �. Mais une question nouvelle vient s�y greffer rapidement. Elle est li�e aux probl�mes n�s autour de la diff�rence de religion. La foi n�est pas seulement cr�atrice d�harmonie et de concorde. Elle a aussi un aspect dogmatique qui peut l�entra�ner � �tre intol�rante vis � vis des autres croyances. Pouss� dans ces cons�quences extr�mes, leurs adeptes � surtout s�ils appartiennent � une seule et m�me nation � peuvent �tre pr�cipit�s dans des conflits arm�s qui s�apparentent alors � la guerre civile. Cette question est essentielle dans sa nature m�me. Elle le devient plus encore au XVIe si�cle, � cause du conflit th�ologique et eccl�sial qui d�chire les catholiques et les protestants. Ces d�bats religieux radicalis�s, s�ajoutent, dans le m�me temps, aux mouvements qui atteignent les id�es relatives � la guerre. Ceux-ci incluent alors une nouvelle r�flexion sur la l�gitimit� de la guerre pour cause de religion.
Ces ant�c�dents canoniques occupent une place importante, mais ils ne sont pas les seuls � �tre r�cup�r�s et transmu�s dans la nouvelle pens�e de cette premi�re moiti� du XVIe si�cle. Il existe des exemples litt�raires dont les plus c�l�bres sont � Le livre du corps de policie �, de Christine de Pisan, au d�but du si�cle pr�c�dent . Il parle des vertus et des m�urs li�es � la guerre � et n�est autre chose guerre et bataille qui est faite � juste querelle ne mais la droite ex�cution de justice pour rendre le droit l� o� il appartient �. C�est encore un th�me trait� par Honor� Bonet dans � L�arbre des batailles �, consacr� pour l�essentiel au droit de la guerre et qui a �t� compos� entre 1384 et 1387 . Pour ce moine b�n�dictin du prieur� de Salon de Provence, la bataille vient de Dieu, mais aussi du droit des gens du droit de nature. Et il figure parmi les r�f�rences dont fait �tat le juriste bordelais.
Si l�on prend d�abord les listes canoniques des causes de guerre, il est patent qu�on y trouve toujours l�inscription d�une relation entre la guerre et le droit dans la notion de guerre juste. Le vocabulaire latin utilis� le montre clairement: l�injuria est une violation du droit � le verbe vindicare signifie punir une injustice � le justus signifie la conformit� � la justice, au droit et par extension � l��quit�. Ces pr�cisions de vocabulaire ne doivent pas �tre consid�r�es comme particuli�res � ce domaine. Toute la pens�e juridique fait �tat d�un souci presque m�canique qui conduit � l�existence de classifications tr�s �labor�es. On en a un exemple particuli�rement int�ressant qui d�termine toute la r�flexion p�nale.
Cela explique que l�on trouve chez Henri de Suse (le cardinal Hostiensis), une v�ritable taxinomie r�aliste de la guerre, avec sept sortes de guerres classiques. Il en fait le compte � propos des preuves p�nales . Ces d�coupages reposent sur une id�e ma�tresse : la guerre est l�gitime lorsqu�on peut la consid�rer comme un juste ch�timent inflig� � un peuple, un Etat, qui a commis une injustice grave � l��gard d�un autre. Le caract�re de gravit� prend appui, � son tour, sur l�obligation de pouvoir constater l�obstination de l�auteur � refuser toute r�paration. Ce point est particuli�rement important, car non seulement il permet la possibilit� de m�diation � ce qui correspond � la via compromissi classique � mais il d�borde la stricte mise en �uvre des instruments judiciaires institutionnels dont on sait que, plus tard, Grotius fera un large usage dans sa th�orie des bons offices .
Ces pr�cisions apport�es, le constat fait chez les auteurs du milieu du XVIe si�cle, et en particulier Jean d�Arr�rac, montre pourtant que cette question, si cruciale, de l�existence de deux religions dans une m�me nation et d�un choix possible de la part des habitants ne peut pas rentrer dans ce sch�ma. Plus encore, la cat�gorie des infid�les dont traitent les canonistes m�di�vaux et la guerre qui peut leur �tre faite (la guerre romaine, selon la d�nomination en usage), ne peut pas �tre utilis�e dans l�orbite id�ologique nouvelle. Le droit des gens qui repose sur le droit naturel, dans la deuxi�me moiti� du XVIe si�cle, implique qu�on ne peut pas faire la guerre � ceux qui ne partagent pas la m�me religion, sur ce seul argument.
Ces restrictions sont essentielles. Il ne faut toutefois pas se m�prendre sur leur sens qui ne rel�ve pas n�cessairement d�un humanisme g�n�reux. Elles rel�vent plut�t de l�enseignement politique. Les rois m�di�vaux, tout comme leurs successeurs du XVIe si�cle, sont d�sireux de fonder sur de solides bases juridiques leurs r�clamations, ne serait-ce que pour se donner l�apparence de bonne justice. Mais ils regardent aussi et davantage, d�un �il neuf, le poids que repr�sente d�sormais une opinion publique (si incertaine qu�elle soit encore) � laquelle ils n�h�sitent pas � faire appel. On trouve chez eux, par cons�quent, le souci de faire co�ncider, plus encore qu�auparavant, la volont� qui conduit leurs actes et leurs d�cisions elles-m�mes, avec les principes moraux du christianisme . Car du fait de l�exacerbation des questions religieuses, le domaine de la foi est devenu une sorte de point d�ancrage sur lequel se construit l�identit� politique, de la m�me mani�re qu�il est �galement le point de ralliement des populations et des territoires sur lesquels elles vivent et sont gouvern�es. Cela conduit donc les souverains � utiliser au maximum les instruments juridiques. Ces derniers permettent de faire l��conomie des th�ses chr�tiennes sur la guerre, si sensibles et si malais�es � manier contre des infid�les qui � � tout prendre, dans le climat encore incertain des tentatives d�union religieuses entre catholiques et protestants du milieu du si�cle � n�appartiennent pas vraiment � une autre religion.
Le r�sultat aboutit donc � faire la guerre pour la foi, mais sans reprendre les vieux arguments canoniques m�di�vaux de la guerre sainte ou de la guerre romaine contre les h�r�tiques. On le voit bien dans le sens donn� � la justice dans la guerre: ainsi, une guerre est-elle injuste, non pas tant parce qu�elle n�est pas conforme � la justice, mais simplement, parce que des �l�ments juridiques indispensables � sa qualification, et en quelque sorte instrumentaux, n�ont pas �t� utilis�s ou respect�s. Par exemple, la guerre a �t� d�clar�e par une personne n�ayant pas les qualit�s n�cessaires. Elle est dite alors non conforme au droit.
Cette mani�re d�envisager la guerre n�a que des avantages pour le temps pr�sent. Elle �vite de trancher, sur le fond, de la nature de la justice de la guerre. Elle permet aussi de prendre en compte la r�solution de questions cruciales comme la conservation de la soci�t� ou la consistance de l�Etat : points devenus d�terminants dans ce si�cle d��clatements et de dissolution du corps social, de risque de schisme dans l�Eglise et m�me de r�volution contre le pouvoir royal . Jean d�Arr�rac se tient en accord avec son contemporain Francisco de Vitoria en d�finissant les conditions de la guerre sur le plan de la forme et d�une sorte de � ius in bellum � interne. C�est � dire qu�il accorde une place essentielle � la mani�re convenable de combattre � selon les r�gles du droit. Il pose ainsi, de son c�t�, la question de la n�cessit� d�introduire le droit de la guerre dans le � ius proprium gentium � et d�clare nettement que la diff�rence de religion ne peut �tre une cause de guerre juste . Comme Vitoria encore, il invoque saint-Thomas d�Aquin et tous les principaux docteurs scolastiques .
C�est un h�ritage commun � beaucoup d�auteurs (A. Gentilis, Covarrubias). Il est construit sur deux �l�ments.
Le premier point rel�ve le r�le du Prince, c�est � dire la place que la souverainet�, l�Etat occupent en tant que conducteurs de la guerre. Par sa fonction et la nature m�me de son �tat, le Prince est oblig� d��tre le juge du bien commun. Ce qui contient in�luctablement la question de la paix ou de la guerre.
Le second point insiste sur la proclamation d�un � ius humanae societatis �.
Ces deux points seront au centre des arguments du discours philosophique politique qui conna�t alors une nouvelle renaissance. Le premier, bien connu, sera particuli�rement d�velopp� dans les ouvrages de Jean Bodin et de Guillaume Postel, ainsi que chez leurs continuateurs : Guy Coquille, Loyseau, Guez de Balzac qui �taient tous partisans du caract�re absolu de la souverainet� .
Le deuxi�me point m�rite lui-aussi une attention sp�ciale. Il s�agit chez la majorit� des auteurs qui se font l��cho des voix des repr�sentants de l�Eglise, lors du concile de Constance de 1417, de prendre en compte la nouvelle d�finition de la soci�t� internationale. Car ils se situent dans un moment crucial de l�histoire o� les limites de l�univers connaissent de profonds changements. Elles reculent et englobent des peuples nouveaux, et, par cons�quent, atteignent la vieille chr�tient� qui formait (en y incluant naturellement l�Empire) l�orbe o� se d�finissait les rapports des chr�tiens avec les autres peuples. Ceux-ci ne pouvaient jadis �tre inclus dans le droit commun. Il en r�sultait que les relations avec ces �trangers au monde chr�tien ne pouvaient �tre que r�gl�es par un pur arbitraire ou de simples rapports de fait : d�indiff�rence ou d�hostilit� selon les cas.
3. Le pragmatisme chr�tien au service de la communaut� universelle du genre humain
Les raisons et les donn�es de cette nouvelle vision du monde sont complexes. Y figurent des �l�ments de nature anthropologique, mais aussi des r�gles juridiques. Ce qui caract�rise ce changement de perspective, c�est qu�il est d�abord d�passionn�. L�homme est vu r�ellement en soci�t� dans une perspective qui, � la fois repose sur la vieille tradition politique aristot�licienne, et qui incluse d�sormais, de fa�on plus d�cisive, l�histoire. Il est m�me pris en compte � partir de consid�rations qui incluent d�sormais l�histoire, la nature et les caract�ristiques particuli�res � chaque soci�t�. Ce n�est plus seulement l�homme nu dans sa relation privil�gi�e avec Dieu, isol� de son contexte vivant. Ce qui a autoris� des auteurs � montrer que, d�une certaine mani�re, la pens�e la�que aurait p�n�tr� ce domaine des id�es . Sans nous attarder sur ce point, il est clair que le r�sultat sur le plan du droit � m�me le droit qui gouverne les relations entre les peuples � est que celui-ci n�est plus s�parable du contrat. La promesse des engagements : qu�elle soit fond�e sur la vieille aequitas canonica ou l� aequitas naturalis, est essentielle � la nature des rapports nou�s entre les contractants. La fid�lit� humaine, et son corollaire qui oblige � ce que le lien qui relie les hommes entre eux, selon la nature, et que la r�gle pacta sunt servanda exprime juridiquement, font partie int�grante d��l�ments techniques gr�ce auxquels les obligations sont devenues plus s�res.
La cons�quence majeure qui en r�sulte est que le ius inter gentes qui doit r�gler maintenant les relations entre les Etats souverains, est fond� sur la reconnaissance et le maintien, co�te que co�te, d�un minimum d��changes . Cette v�ritable loi s�impose, alors m�me que les passions nationales, les conflits religieux s�exacerbent et que croissent les fanatismes les plus destructeurs. Elle doit demeurer envers et contre tout. Pour Jean d�Arr�rac, ces questions re�oivent une solution exempte de toute ambigu�t�.
Selon le juriste bordelais, il convient de rechercher et de respecter, dans et � travers les diff�rentes religions, le lien humain le plus concret possible. C�est ce qui lui fait �crire : � m�me l�idol�trie est du droit des gens � . Cependant, il reste attach� aux anciennes le�ons m�di�vales qui n��tablissent pas les religions sur un m�me plan. Certaines d�entre-elles sont sup�rieures aux autres, en raison de la v�rit� qui s�y trouve incluse et qui ne supporte pas de comparaison. Car il ajoute dans le m�me temps que la vraie religion est du droit de nature. De m�me que � le vrai droit naturel est le souverain bien de l�homme � vivre selon les lois de Dieu � . Et conscient des risques d�un �cum�nisme vague et destructeur, il souligne que les religions ne sont pas identiques, ni n�cessairement porteuses d�une v�rit� commune et que le christianisme les transcende toutes. Ceci pos�, il lui para�t indispensable de limiter les cons�quences de la guerre religieuse. Elle est non seulement une guerre id�ologique, mais aussi une guerre civile. C�est pour ces raisons qu�il veut �carter le droit de butin, car il est fond� sur des r�gles qui ne s�appliquent qu�aux conflits entre �trangers.
C�est la th�se ing�nieuse que mit en honneur Alciat. Celui-ci, bien qu��loign� vers la fin de sa vie des conflits politico-religieux fran�ais, reste tr�s attach� � leur solution pacifique. Il consid�re ces luttes comme de v�ritables guerres civiles qui sont � ses yeux encore plus meurtri�res et fratricides. Ce qui montre qu�il agit encore en h�ritier de l�Ecole des Bartolistes .
La question des ruses de guerre n�est pas absente non plus de la r�flexion du magistrat du Parlement de Bordeaux. Ces ruses sont toujours permises. Elles le seront encore jusqu�� la fin du si�cle, puisque, entre 1589 et 1593, de nombreux trait�s continuent de les autoriser : par exemple ceux de Raymond de Beccarie, de Bernard de Loque, d�Emery de Sainte-Rose, de Jehan Robert. Certaines de ces �uvres sont �crites par des juristes qui appartiennent eux-aussi au prestigieux corps des conseillers des Parlements . Les raisons essentielles de cette pratique s�enracinent dans le legs des anciennes lettres de Marque et les lettres de repr�sailles qui contiennent un ius concedandi repraesalia consid�r� comme appartenant au droit des gens. Car, ainsi que l��crit d�Arr�rac, il existe dans la guerre une responsabilit� solidaire : � ce qui est d� par un corps est d� par chacun des membres dont il est compos� �, et parce que enfin, les repr�sailles ne rompent pas la paix. On trouve d�j� dans le droit romain l�id�e que la ruse utilis�e contre l�ennemi est un dolus bonus et les canonistes, � sa suite, l�ont toujours admis. C�est ce qui explique que les trait�s techniques sur la guerre r�dig�s, entre 1550 et 1600, s�accordent entre eux sur ce point.
Dans les conflits qui opposent les catholiques et les protestants, les restrictions sp�cifiques d�j� not�es ne s�appliquent pas dans cette mati�re. Au contraire, la d�fense de religion les justifie plus encore. Il s�agit en effet de prot�ger la chose publique, l�honneur de Dieu et de la foi, comme le souligne vigoureusement d�Arr�rac .
Lorsqu�on aborde la question plus pr�cise des rapports internationaux dans le cadre de la mise en �uvre de la paix par le droit, on constate que l�auteur insiste fortement sur le fait que c�est ce qui permet aussi de mettre de l�ordre dans les royaumes; conditionne � la fois la protection des nations et celles des alliances. L�expression moderne � relations internationales � n�appara�t �videmment pas dans les termes utilis�s par le juriste. Et l�on doit rester prudent, dans l�interpr�tation, sous peine d�anachronisme. Mais il est incontestable que les relations entre les Etats sont �tudi�es, dans beaucoup d��crits, d�s la premi�re moiti� du XVIe si�cle, sous une forme beaucoup plus globale que si elles �taient situ�es dans une seule relation personnelle � c�est � dire dans un strict rapport au monarque qui gouverne �, ou m�me en tenant compte des caract�ristiques dynastiques. Les nations se forment. Il y a un net recul de la Chr�tient�. C�est � dire, dans la perspective adopt�e par Jean d�Arr�rac, un partage de l�Europe en deux camps qui deviennent tr�s vite antagonistes et cette partition � en passe de devenir aussi g�ographique � est irr�m�diable � partir de 1560 . Cette rupture d�une mentalit� pluris�culaire, au cours de laquelle la th�ologie et la philosophie politique avaient tant insist� sur les �l�ments qui concourraient � l�instauration et � la sauvegarde de l�unit�, bouleverse toute l�id�ologie dominante.
Ce probl�me soul�ve �videmment la question de sa v�ritable reconnaissance par les contemporains, et il est difficile de trancher sur ce point. Il est cependant n�cessaire au chercheur de l�inclure dans son analyse. L�union entre les peuples n�est plus le fondement de la conception m�me du monde (telle qu�elle s�incarne dans l�orbis christianus) et de la forme rev�tue obligatoirement par les institutions. Il y a vraisemblablement une correspondance entre l�acceptation de cette d�chirure du �manteau sans couture� et l��mergence croissante des nationalismes. Comme le note, avec une certaine effusion, le juriste bordelais, le chant de la patrie commence. Il est encore centr� sur la personne du monarque, car �crit-il: la patrie � C�est tout l�Etat du Royaume, auquel nous devons charit�, amour, ob�issance, comme aussi au Roy qui en est le chef � .
L�attachement au souverain est ainsi une des composantes d�un sentiment nouveau auquel se m�le celui du terroir natal . Jean d�Arr�rac est tr�s marqu� par ce courant d�id�es. Il rejoint le camp des passionn�s de la nation fran�aise. C�est pour lui une souffrance suppl�mentaire de voir se diviser une communaut� que la nature, la religion et l�histoire ont tellement rapproch�e et unie. Pour ceux-l� dont il fait partie, c�est encore plus fondamentalement inacceptable dans un m�me Etat.
Unique est la nation, uniques devront �tre l�Etat et le droit. Pour le juriste bordelais, le point de d�part de cette nouvelle conception de la communaut� est et reste chr�tien. Aucun doute n�est permis. Il a pris corps au XVe si�cle dans les classifications des th�ologiens, et dans les d�bats d�Ecole qui ont oppos� le r�alisme et le nominalisme . Mais � y regarder d�un peu plus pr�s, la notion d� � orbis christianus � cesse d��tre la seule r�f�rence, par suite de l�apparition d�une nouvelle communaut�: la � communitas orbis �. Or ce regroupement est d�une tout autre nature. Il n�est plus exclusivement fond� sur ce qui r�unit les disciples du Christ � consid�r�s dans la conception �vang�lique paulinienne des Nations, sa catholicit� et son universalit� singuli�re. Sa caract�ristique en est plus � la�que �, moins �cum�nique et eccl�siale. Ce sur quoi l�on insiste maintenant : c�est la notion d�une communaut� r�elle et universelle du genre humain .
L�on sait que les th�ologiens de l�Ecole de Salamanque ont �t� les premiers � poser, par l�interm�diaire de Francisco de Vitoria, le v�ritable fondement du droit international, ainsi que, par r�action, celui de la patrie. Ils ont pris � la lettre le texte de l�Evangile : � Euntes docete omnes gentes baptizantes � . C�est d�ailleurs dans ce sens, que la foi est appel�e � �tre, par l�interm�diaire du monarque, le sens et la figure de la communaut�. Cela explique le soin que ces th�ologiens apportent � en pr�ciser les contours et les exigences politiques. Ils les relient aux nouvelles donn�es �conomiques, au droit, � la philosophie morale qu�ils �laborent dans le m�me temps.
� l��vidence, la stature du juge du Parlement de Bordeaux est beaucoup moins �lev�e. Parce que l�action de ces penseurs est facilit�e par le prestige social qui les entoure et qui est beaucoup plus grand en Espagne qu�en France, mais aussi en raison de l��troite imbrication, dans leurs �uvres, d�une rectitude th�ologique alli�e � la construction d�une doctrine juridique coh�rente et m�me parfois d�terminante � ce qui fait d�faut au � pr�curseur bordelais � qui manque de connaissances dans ce domaine. L�ensemble donne � la pens�e hispanique ult�rieure (celle des Tratadistas et ses continuateurs), entre le XVe et le XVIe si�cle, la ma�trise d�une nouvelle illustration du rationalisme chr�tien . Ces grands th�ologiens et juristes espagnols sont bien les devanciers des philosophes des Lumi�res. � condition, � tout le moins, qu�on pose � ces derniers toute une s�rie d�interrogations au sujet de cet h�ritage qu�ils oublient de mentionner, alors que leur dette est immense, ou qu�ils trahissent d�lib�r�ment .
La question de l��quilibre des relations entre les peuples est une des plus connues. Mais il faut donner la paternit� de ces th�mes aux vrais auteurs, et mettre au net la chronologie. Car la pr�cocit� de l�apparition de la th�se est remarquable. � Bordeaux, elle prend forme dans les �tudes sur le droit d�ambassade r�dig�es par Nicolas Bohier, pr�sident du Parlement au tout d�but du XVIe si�cle , puis dans les oeuvres d�Etienne Dolet, Secr�taire de l�Ambassade de France � Venise et surtout chez Jean Bruneau, professeur � l�Universit� d�Orl�ans. La d�finition bien connue de Jean Bodin � l��quilibre g�t en contrepoids de puissance �, bien que ne figurant pas dans la lettre m�me dans ses ouvrages, est d�j� celle de Jean d�Arr�rac. Pour lui, c�est la puissance des Princes qui constitue la limite des royaumes, pas celle des territoires n�s de l�histoire ou offert par la g�ographie. Et l�on doit fonder les rapports des peuples sur cette donn�e . Cette id�e sera la grande th�se de la diplomatie d�Ancien R�gime, m�me si elle repose sur des composantes internes variables. Ce sera tant�t l�union des faibles contre un puissant, ou encore l��galisation des rapports de forces. Elle se retrouvera aussi chez la plupart des publicistes du droit international � la fin du XVIe, jointe alors � des essais tendant � l�gitimer la r�sistance � l�Etat dont la croissance et la puissance inqui�te et n�cessite de mani�re urgente d�instaurer des contrepoids.
Si l�on reprend ces �tudes et ces propositions, on s�aper�oit qu�elles sont impr�gn�es d�un fort pragmatisme. Elles ne sont pas le produit d�une id�ologie, mais plut�t d�une simple constatation des faits, de r�alisme. Jean d�Arr�rac, bien qu�il affirme sa haute conception de la monarchie, ne croit pas que cela autorise celle-ci � refuser d�entretenir des rapports avec d�autres peuples ou les Etats. L� aussi, il ne se contente pas d�une attitude absolutiste, ni de se placer � un strict niveau moral, sous couvert de r�f�rence au droit naturel . Pour lui, il convient toujours de rester sur un plan concret, de rechercher et d�appliquer � tout ce qui peut appara�tre comme des tensions, des m�canismes de r�gulation par l�interm�diaire des techniques du droit. Il ne faut pas se contenter � ainsi que le d�clarent les th�oriciens continuateurs de l�humanisme chr�tien � de d�gager seulement des normes morales qui permettraient d�humaniser la soci�t� et d�adoucir les conflits. Comme Sully qui en est proche, le juriste bordelais veut stabiliser les forces, les rivalit�s. Il veut �quilibrer les puissances mais il ne va pas jusqu�� imaginer de mettre sur pied une sorte d�organisme international.
Il convient �galement de s�interroger sur la position qu�occupe d�Arr�rac par rapport � ceux qu�on appelle � son �poque les R�publicains. Il est difficile de savoir s�il a �t� li�, comme Etienne de la Bo�tie, � ceux qui cherchent � faire �cole autour de la d�fense des id�aux de libert� et d��galit� dont chaque homme est porteur, par sa nature m�me, et qui entendent les placer au centre des institutions universelles divines, donc communes, tout en s�inspirant � la fois des exemples de l�Antiquit� et des th�ses de la R�forme .
Le magistrat bordelais s��carte ainsi des options radicales du � Discours de la Servitude volontaire � �crit vers 1549 et qui sera r��dit� par les Calvinistes en 1570 sous le titre de Contr�un . Il est plus proche des politiques lorsqu�il parle souvent de � la loi de nature en la raison humaine � et envisage de limiter les pouvoirs du roi qui doit se conformer au droit de nature et au droit des gens. Car �crit-il : � c�est lui qui est la matrice et la fontayne des vrays lois � . De la m�me mani�re, l�id�e de contrat le rapproche de Michel de l�Hospital, d�Etienne Pasquier, de Fran�ois Pithou et de Fran�ois de La Noue, lorsqu�il indique que � la loy doit �tre r�ciproque entre le Prince et ses sujets � . Ainsi, il n�y a pas de grande diff�rence entre cette id�e que l�on qualifierait aujourd�hui de �contractualiste� et celle que l�on retrouve encore chez La Bo�tie qui insiste sur ce point et sait bien le poids politique que repr�sente le peuple, dans cette entreprise de consentement au pacte de gouvernement et � sa nature sp�ciale qui n�est ni un pactum associationis, ni un pactum subjectionis .
Jean d�Arr�rac, malgr� des positions parfois fermes sur les R�form�s et les normes th�ologiques qui les s�parent des catholiques (la papaut�, les rites, les sacrements, la solennit� des liturgies le droit canonique), n�est pas un extr�miste. Il n�appartient pas au parti des catholiques royaux qui regroupe des membres de la noblesse et une large fraction du clerg�, apr�s la D�claration de Saint-Cloud du 4 ao�t 1589 dans laquelle Henri de Navarre promettait le maintien de la religion catholique et la tenue d�un concile. Il est encore moins un monarchomaque catholique.
Ses options doivent �tre replac�es dans le contexte local bordelais, o� l�influence des communaut�s protestantes se fait vigoureusement sentir . Et lorsqu�il se rallie � Henri IV, dans le chaos de la guerre civile, c�est pour asseoir plus concr�tement sa r�affirmation de l�autorit� dans l�Etat. Elle est � ses yeux indispensable. Sans elle, rien qui rassemble le pouvoir de faire la loi, rien qui permette de la faire respecter et de juger conform�ment � l�esprit de justice. Ce sont d�ailleurs ces grandes questions touchant � la nature du pouvoir qui agitent la fin du si�cle. C�est dans ce sens qu�il faut prendre l�adresse par laquelle il salut le B�arnais � un roy auquel il semble que Dieu ayt d�parti plus de graces qu�� tous ses pr�d�cesseurs � . On peut certes y voir un paradoxe, assez commun chez de nombreux auteurs de cette p�riode: entre des d�monstrations loyalistes monarchiques et une sorte de contractualisme encore flou qui sert de base � la d�nonciation des abus, de l�arbitraire, des d�tournements d�autorit� � le tout sans remettre en cause un principe monarchique qu�il convient de rendre in�branlable.
Cela dit, il reste encore une question importante � souligner car elle s�inscrit, elle-aussi, dans la r�flexion sur le droit de la nature et des gens: la nature des liens existant entre le pouvoir civil et la religion.
On conna�t les trois formes au moyen desquelles se d�finissent leurs rapports: la collaboration fonctionnelle, la th�ocratie pontificale, la soumission indirecte. Les grands penseurs j�suites espagnols Su�rez, Vitoria d�velopperont l�id�e que l�acceptation mutuelle est essentielle, et qu�elle doit reposer sur un respect mutuel.
Il semble que la solution fran�aise des penseurs politiques soit identique. C�est en tout cas celle de Jean d�Arr�rac. Pour lui, la religion doit continuer d�inspirer la vie publique et civile, mais elle ne doit pas en �tre totalement juge. Dans cet esprit, le juriste bordelais commence d�abord par distinguer soigneusement les sources de la juridiction. Il �tablit son �quation en mettant en relation les deux souverainet�s : la juridiction royale qui est souveraine et la juridiction eccl�siastique pontificale. En s�parant les deux pouvoirs, il met aussi en question l�autorit� du Pape. Mais d�Arr�rac est prudent. Il ne tranche pas compl�tement de l�autorit� du concile. Il se contente de renvoyer � Nicolas de Cuse et � Bellarmin . Or, on le sait, le premier est partisan des th�ses de l�autorit� du concile �cum�nique sur le Pape et l�autre, dans ses � Controverses �, inspire un renouveau de la th�orie du pouvoir indirect pontificale - m�me dans les affaires temporelles.
Il est clair que le bordelais veut ainsi souligner deux types de limites internes et externes de la souverainet�. En premier lieu, lorsqu�il traite de la nature et de la capacit� du pouvoir politique, Jean d�Arr�rac ne l��tablit pas sans un certain nombre de contre poids n�cessaires. Il n�utilise pas les expressions relatives � la th�orie des freins (religieux, policiers �les ordonnances du royaume� le respect de la loi). Mais, en bon juge appartenant � la Cour Souveraine bordelaise, il n�oublie pas le r�le du Parlement. Il �crit que la monarchie doit �tre r�gl�e, sinon les rois � s�ils passent par dessus les lois et la raison, ils d�pouillent en cet acte de la royaut� (et) malgr� leurs pouvoirs, par leurs �dits cr�ent des mati�res de moindre qualit� que celle du droit naturel � .
Quant aux limites externes, il entend par l� celles qui ressortent du ius gentium, du droit des gens. L�absoluit� de la souverainet� trouve donc un obstacle naturel dans l�existence des autres Etats et des relations que le roi est oblig� � ne serait-ce que par la g�ographie et les contraintes de l�ordre normal de la vie, de nouer avec eux. Ce r�alisme qui rev�t chez lui une forme accus�e tranche avec les conceptions existant, d�une fa�on g�n�rale en France, et l�id�e qu�on se fait de la monarchie, depuis le Moyen �ge, qui interdit de voir dans les autres Etats de v�ritables puissances autonomes .
Ces quelques remarques sont encore trop g�n�rales. Mais elles montrent toutefois que le juriste du Parlement de Bordeaux n�est pas un simple compilateur. Les th�mes de son livre t�moignent d�un int�r�t largement partag� en Europe pour les questions politiques, et en particulier pour tout ce qui touche � la souverainet� et au droit des gens. Sans doute n�a-t-il pas la puissance syst�matique de l�esprit d�Alb�ricus Gentilis, ni le g�nie universel de Guillaume Postel (avec son De orbis terrae concordia � publi� en 1543). Mais son travail montre la n�cessit� de v�rifier, chez les juristes, la mani�re dont s�est faite la transmission de l�h�ritage canonique et politique m�di�val � celui de la philosophie du droit thomiste, en particulier � dans la nouvelle pens�e politique en germe au cours du XVIe si�cle. P�riode o� un r�alisme mod�rateur chr�tien prend � la fois appui sur les th�ses qui veulent faire du droit le conservateur des soci�t�s humaines, n�cessaire � l��quilibre, � la dur�e, � la consistance de l�Etat et aussi sur les id�es nouvelles qui pr�nent une universalit� formelle et juridique, base du droit public international moderne.
Recibido el 15 de octubre de 2010 y aceptado el 6 de noviembre de 2010.
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