Revista europea de historia de las ideas políticas y de las instituciones públicas


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Presidente del C.R.: Antonio Ortega Carrillo de Albornoz
Director: Manuel J. Peláez
Editor: Juan Carlos Martínez Coll


LE CATHOLICISME COMME RELIGION POLITIQUE EN FRANCE

Jean-Louis CLEMENT*

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Jean-Louis Clément (2011): "Le Catholicisme comme Religion Politique en France", en Revista europea de historia de las ideas políticas y de las instituciones públicas, n.o 1 (marzo 2011), pp. 149-157.

ABSTRACT: How political concepts which were built up by Counter-revolutionary school were been able to graft on French Catholicism since the Revolution of 1789? The historical investigation proves that positivist or socialist theorists were indebt to Joseph de Maistre and Louis de Bonald for their religious prophecies and their theory upon relations between temporal power and spiritual power. These ideas became French catholic ideas with the Saint-Simon socialist school and the Roman Catholic priest de La Mennais and the writers as Honor� de Balzac, George Fonsegrive or Paul Bourget. Upon these influences, the French Catholic left-wing put the political principle of reality in the society and not in the human person.

KEY WORDS: History, Political Ideas, France, Catholicism, XIX & XX Centuries.

RESUME: Comment des concepts de philosophie politique qui ont �t� �labor�s par la pens�e contre-r�volutionnaire, ont-ils pu se greffer sur le catholicisme fran�ais depuis la R�volution de 1789 ? L�enqu�te historique montre que les th�oriciens positivistes ou socialistes sont redevables des proph�ties religieuses de Joseph de Maistre et Louis de Bonald pour expliquer le lien entre le spirituel et le temporel. La vulgarisation de ces id�es dans le catholicisme fran�ais a �t� faite par l�abb� de La Mennais et ses liens avec l��cole socialiste de Saint-Simon, par des romanciers comme Honor� de Balzac, George Fonsegrive ou Paul Bourget. Ces id�es forment le terreau du catholicisme progressiste fran�ais. Il place, comme dans les th�ories socialistes, le principe de r�alit� dans la soci�t� et non dans la personne humaine.

MOTS CLES: Histoire, Id�es politiques, France, Catholicisme, XIX�me-XX�me si�cles.

1. Introduction

�ric Voegelin (1901-1985) est un politologue autrichien qui prit le chemin de l�exil en 1938. Il migra aux Etats-Unis o� il continua une carri�re d�universitaire. Quelques semaines avant l�Anschlu�, il avait publi� un opuscule intitul� Die politischen Religionen qui est � l�origine de son exil. Il montre dans cet ouvrage que la racine de l��tat se trouve dans la nature profonde de l�homme, mais il ajoute que cette racine se nourrit de la conception que se fait l�homme du principe de R�alit�. Il s�en suit que l��tat traduit concr�tement ce principe de R�alit� dans les lois qui organisent la vie publique et sociale. A partir de cette hypoth�se, il soutient que l��tat totalitaire est fond� sur une gnose intramondaine qui aspire � racheter, � gu�rir un corps social suppos� gangren�. L��tat totalitaire s�octroie une fonction messianique et r�demptrice . Les recherches philosophiques et historiques ont relev�s, depuis lors, le caract�re cultuel rev�tu par le nazisme et le communisme. Le premier use d�un vocabulaire magique (Heil) ou religieux (� Le pr�cieux sang allemand �) le second transforme la procession des ic�nes en d�fil�s derri�re le portrait de Staline et l�iconostase en galeries de portraits des ouvriers les plus m�ritants dans le hall d�entr�e des usines.

La disparition des deux id�ologies totalitaires du XX�me si�cle a-t-elle emport�, par la m�me occasion, toutes les gnoses intramondaines susceptibles d��riger l��tat moderne ? Quelques r�flexions �mises par Henri de Lubac (1896-1992), dans sa derni�re grande �tude, laissent entendre qu�il s�est constitu� un catholicisme mis au service d�une gnose intramondaine qui aspire � r�guler toutes les activit�s humaines .

Il faudrait un livre �pais pour r�pondre avec pertinence et nuances � cette question. En quelques pages, il ne sera possible que de crayonner l��bauche d�une r�ponse. En effet, cette instrumentalisation du catholicisme commence dans les affres de la Grande R�volution et se d�veloppe lentement depuis cette date � telle enseigne que notre temps pr�sent ne fait que r�aliser hic et nunc une gnose intramondaine �labor�e dans la tradition des Lumi�res. Les penseurs contre r�volutionnaires posent les principes d�une nouvelle relation entre politique et catholicisme que les p�res de la � pens�e r�organisatrice � s�approprient avec un talent subtil. Cette annexion est le levain du catholicisme social et du progressisme catholique contemporain.

2. A l�origine de la gnose

�ric Voegelin, quand il �crit : � il n�existe pas aujourd�hui de penseur important du monde occidental qui ne sache [�] que ce monde se trouve dans une grande crise [�] et qui ne sache que la gu�rison ne peut �tre amen�e qu�� travers un renouvellement religieux, que ce soit dans le cadre des �glises historiques ou en dehors d�elles � , semble avoir une r�miniscence. En 1796, un �migr� savoyard en Russie, Joseph de Maistre (1753-1821), �crivait, dans les Consid�rations sur la France, cette phrase dont l��cho a travers� ces deux derniers si�cles enclins au mill�narisme : Il me semble que tout vrai philosophe doit opter entre ces deux hypoth�ses : ou qu�il va se former une nouvelle religion, ou que le christianisme sera rajeuni de quelque mani�re extraordinaire � .

Ce mot eut un grand retentissement chez les �lites n�es de la tourmente r�volutionnaire. Celles-ci, taraud�es par le � mal du Si�cle �, sont d�autant plus tortur�es par la question religieuse qu�elles cherchent le moyen de clore l��re des � �motions populaires �. Les penseurs contre r�volutionnaires �tudient la question de la religion, du catholicisme en particulier, en �vacuant � c�est un principe premier� la notion de personne confondue, une fois pour toute, avec l�individualisme radical de Jean-Jacques Rousseau. Maistre �crivait: � La constitution de 1795, tout comme ses a�n�s, est faite pour l�homme. Or, il n�y a point d�homme dans le monde. J�ai vu dans ma vie, des Fran�ais, des Italiens, des Russes, etc. [�]: mais, quant � l�homme, je d�clare ne l�avoir rencontr� de ma vie; s�il existe, c�est bien � mon insu . Louis de Bonald (1754-1840) surench�rit en �crivant la m�me ann�e : l�homme n�existe que pour la soci�t�, et la soci�t� ne le forme que pour elle : il doit donc employer au service de la soci�t� tout ce qu�il a re�u de la nature et tout ce qu�il a re�u de la soci�t�, tout ce qu�il est et tout ce qu�il a. � . Cet auteur �tablit le lien politique et religion en limitant le ressort de cette derni�re � sa fonction sociale : La soci�t� intellectuelle ou religieuse a pour but la conservation de l�homme social par la r�pression des volont�s d�prav�es; la soci�t� politique a pour objet la conservation de l�homme social par la compression des actes ext�rieurs de ces m�mes volont�s [�]� . Par voie de cons�quence, la science politique qu�il �labore, n�a plus besoin d�une anthropologie de la personne, de laquelle il se m�fie par jans�nisme. Elle a besoin d�une � physique sociale � : � [il] nous manque un ouvrage qui remonte aux premiers principes des soci�t�s et qui en lie le d�veloppement � leur histoire et � la connaissance de l�homme � . La pens�e contre r�volutionnaire posait les fondements d�une � temporalisation � du catholicisme par sa transmutation en religion sociale. Le d�nigrement de la notion de personne fut possible en raison de l�humanisme pessimiste jans�niste. Il fut tel que, au XX�me si�cle, l�historien et th�ologien Louis Cap�ran (1882-1962) confondait individualisme et personnalisme .

Le style d�une part, les raisonnements complexes d�autre part, auraient limit� l�audience de ces th�ories s�il ne s��tait trouv� un �crivain de g�nie pour fonder la trame de ses romans sur ces doctrines. Honor� de Balzac (1796-1850) introduit les id�es de Bonald dans les romans de la Com�die Humaine. Dans l��pilogue de la Cousine Bette (1847), le docteur Bianchon r�pond � l�interrogation de la baronne Hulot sur la cause des troubles que vient de traverser sa famille. Le m�decin r�pond en des termes que n�aurait pas reni�s Louis de Bonald :

Du manque de religion, [�], et de l�envahissement de la finance, qui n�est autre chose que l��go�sme solidifi�. L�argent autrefois n��tait pas tout, on admettait des sup�riorit�s qui le primaient. Il y avait la noblesse, le talent, les services rendus � l��tat; mais aujourd�hui la loi fait de l�argent un �talon g�n�ral, elle l�a prise pour base de la capacit� politique [�] les h�ritages perp�tuellement divis�s obligent chacun � penser � soi d�s l��ge de vingt ans. Eh bien ! Entre la n�cessit� de faire fortune et la d�pravation des combinaisons, il n�y a pas d�obstacle, car le sentiment religieux manque en France, malgr� les louables efforts de ceux qui tentent une restauration catholique � .

Petit � petit, le public cultiv� de la bourgeoisie fran�aise apprenait � consid�rer le catholicisme sous l�angle de son utilit� sociale imm�diate. L��clectisme, philosophie officielle de la Monarchie de Juillet, ne pouvait que renforcer cette id�e utilitariste puisque Victor Cousin (1792-1867) consid�rait que la philosophie devait succ�der � la religion: � la derni�re victoire de la pens�e sur toute forme, sur tout �l�ment �tranger � .

3. Temporel et spirituel dans le socialisme utopique

Les fondateurs de la pens�e r�organisatrice furent reconnaissant � Bonald d�avoir : profond�ment senti l�utilit� de l�unit� syst�matique � . Ces penseurs, qui se voulaient, paradoxalement, les ennemis de Jean-Jacques Rousseau, adh�raient � sa conception du lien entre la religion et l��tat. Le promeneur solitaire le d�finit ainsi: � [�] la loi chr�tienne est au fond plus nuisible qu�utile � la forte constitution de l��tat [�] Tout ce qui rompt l�unit� sociale ne vaut rien. Toutes les institutions, qui mettent l�homme en contradiction avec lui-m�me, ne valent rien � . A la diff�rence des Montagnards �except� le cas de Robespierre, d�vot de l��tre Supr�me� qui ont cherch� � abattre les religions, les socialistes, qualifi�s d' � utopistes � par Karl Marx, ont cherch� � gommer la diff�rence entre le temporel et le spirituel.

Barth�lemy Prosper Enfantin (1796-1864), qui fut le guide de l��glise saint-simonienne, �crit au d�but des ann�es 1830 : � [�] l�humanit� a un avenir religieux [�] la religion de l�avenir sera plus grande, plus puissante que toutes celles du pass� [�] elle dominera l�ordre politique mais [�] l�ordre politique sera dans son ensemble, une institution religieuse, car aucun fait ne doit plus se concevoir en dehors de Dieu, ou se d�velopper en dehors de sa loi � . Le catholicisme � rajeuni � par l�abb� F�licit� de La Mennais (1782-1854) et son groupe verse aussi dans une confusion identique � celle de l��cole saint-simonienne, aux le�ons de laquelle venaient les disciples de l�abb�. La Mennais a fait sienne cette id�e que � le christianisme et l�humanit� sont une m�me chose � . Avec un tel principe, la tension entre le spirituel et le temporel cessait. Le social devenait le seul principe de r�alit� et l�unique principe spirituel.

Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865), qui, pour sa part, n�a jamais cherch� � fonder une religion nouvelle comme les Saint-simoniens, ne distinguait pas, � l�instar du P�re Enfantin, le temporel du spirituel. Grand lecteur de la Bible, il en poss�dait un exemplaire qu�il annotait dans les marges. En vis-�-vis du chapitre XXII (15-21) de l��vangile de saint Mathieu, dans lequel J�sus dit: � Rendez � C�sar ce qui est � C�sar et � Dieu ce qui est � Dieu �, le p�re de l�Anarchie �crit :

La r�ponse que fait ici J�sus rentre dans celle que nous lui verrons plus bas faire � Pilate : �Mon royaume n�est pas de ce monde� ; l�, comme ici, il ne fait que c�der � la force ; l� commence cette s�paration du spirituel et du temporel, d�velopp�e par saint Paul (Rom. XIII 1-sq) et qui aboutit � la reconnaissance de toute tyrannie, � la th�orie du droit divin. D�s lors, en effet, que le royaume de J�sus n�est pas de ce monde, que c�est celui de l�esprit, tandis que le royaume de C�sar est celui de la force, auquel tout chr�tien doit se soumettre comme � une chose �tablie de Dieu, il n� y a plus de raison pour le fid�le de s�occuper de la chose publique ; il doit ob�issance. La th�orie du droit d�insurrection est antichr�tienne, de m�me que le principe de la souverainet� du peuple. J�sus par l� se coupe en deux et se r�duit � n�ant .

H�rault d�une lecture temporelle de l��vangile, Proudhon �crivait, dans La Voix du Peuple du 4 novembre 1849 : � Religion et Soci�t� sont termes synonymes: l�Homme est sacr� par lui-m�me comme s�il �tait Dieu. Le catholicisme et le socialisme, identiques pour le fond, ne diff�rent que par la forme � .

Auguste Comte (1798-1857) ne chercha pas � se donner une culture th�ologique similaire � celle de Proudhon. Toutefois, dans sa th�orie des �ges de l�Humanit�, rompant avec le m�pris des philosophes du XVIII�me si�cle � l�endroit du Moyen �ge, il admire la capacit� de cette �poque monoth�iste � cr�er l�Ordre dans la Soci�t� :

� La nature absolue de la philosophie th�ologique qui pr�sidait � cette comparaison [Antiquit� � Moyen �ge], emp�chait m�me de supposer l�existence ult�rieure d�aucun terme nouveau, puisqu�elle repr�sentait le r�gime catholico-f�odal comme dou� d�une perfection d�finitive, au-del� de laquelle on pla�ait seulement l�utopie religieuse sur la vie future � .

Cette qu�te d�un salut dans l�au-del� est la cause originelle du caract�re antisocial du catholicisme, lequel a ouvert la voie � l��ge m�taphysique, plus apte � d�truire qu�� construire :

� Aux yeux de la foi, surtout monoth�ique, la vie sociale n�existe pas, � d�faut d�un but qui lui soit propre ; la soci�t� humaine ne peut alors offrir imm�diatement qu�une simple agglom�ration d�individus, dont la r�union est presque aussi fortuite que passag�re et qui, occup�s chacun de son seul salut, ne con�oivent la participation � celui d�autrui que comme un puissant moyen de mieux m�riter le leur, en ob�issant aux prescriptions supr�mes qui en ont impos� l�obligation � .

Fid�le � la pens�e de Maistre, Auguste Comte sait combien est n�cessaire l�unit� spirituelle pour faire se mouvoir la Soci�t�, con�ue comme une entit� autonome et sup�rieure aux individus. Par la s�paration du spirituel du temporel, le catholicisme a su maintenir, un temps, une certaine coh�rence sociale par le biais de la charit� dont l�effet, sur le long terme, �tait annihil�, en d�pit de tous les efforts, par la rivalit� du Sacerdoce et de l�Empire .

4. La greffe sur le catholicisme et ses fruits

Claude-Henri de Saint-Simon et son plus fid�le disciple, Barth�lemy-Prosper Enfantin, avaient tent� de fonder une religion sociale dans l'attente de la Femme-Messie ; les meilleurs �l�ves quitt�rent le c�nacle, comme Michel Chevalier. Auguste Comte, ancien secr�taire de Saint-Simon et farouche adversaire des Saint-simoniens, se promut, � la fin de sa vie, fondateur de la religion de l'Humanit�; �mile Littr� (1801-1881) cessa ses visites au ma�tre et donna une lecture ath�e de son message. La nouvelle religion ne vint pas. Le rajeunissement extraordinaire du catholicisme ? L'encyclique Mirari Vos du 15 ao�t 1832 condamnait l'exp�rience de l'abb� de La Mennais, qui n'envisageait la religion que dans son rapport avec la soci�t� et le politique. Fallait-il donc douter de la proph�tie de Joseph de Maistre ?

Un saint-simonien, Andr�-Fran�ois Bourgeois (1813-?), �labora, dans les ann�es qui suivirent, une synth�se entre l'antique catholicisme et le Nouveau Christianisme. Il y r�tablissait une sorte de distinction entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel, lesquels, dans son langage pseudo-mystique, sont appel�s le Verbe et la Chair. Il y r�cuse le Jans�nisme et il y d�finit le christianisme comme : � la doctrine du Verbe incarn� (�) qui ne r�prouve pas mais �prouve la chair pour la sanctifier et s'unir � elle (�) Le vrai christianisme n'est plus cette doctrine de mort qui repr�sente son Christ humili� dans son esprit (...) � . La r�p�tition excessive de l'adjectif � temporel � indique clairement l'instrumentalisation des dogmes. Ceux-ci ne sont plus appel�s � soulever une partie du voile qui recouvre le myst�re de Dieu ; ils sont appel�s � participer � la � r�habilitation de la Chair �, en d'autres termes � une r�organisation de la Soci�t� afin de mettre un terme � l'exploitation �conomique de l'homme par l'homme ou de la femme par l'homme par le moyen de l'association universelle et du droit d'a�nesse restaur�e dans une soci�t� devenue une grande manufacture . La distinction du spirituel et du temporel subsiste � la condition que le premier soit au service du second. La Soci�t� est l'unique principe de R�alit�.

Cette voie trac�e par un obscur disciple du P�re Enfantin fut suivie par le pape du Nouveau Christianisme qui chercha une conciliation avec La Mennais apr�s l�avoir d�nigr� et par Philippe Buchez (1796-1865) qui fut le th�oricien d�un christianisme en attente de la r�v�lation sociale qui parach�vera sa doctrine de Progr�s . Le sociologue Fr�d�ric Le Play (1806-1882) s�inscrit dans la tradition intellectuelle du saint-simonisme: ses th�ories ont fa�onn� des g�n�rations de pr�tres par l'entremise de ses disciples nomm�s enseignants � l'Institut Catholique de Paris. Auguste Comte, pour sa part, caressa en 1856 le projet de rallier � sa religion les meilleurs �l�ments de l' � ancienne th�ologie � repr�sent�s par les p�res de la Compagnie de J�sus. Seul Proudhon, apr�s un retour sur lui-m�me dans la derni�re partie de sa vie, rendit au spirituel son autonomie par rapport � la Soci�t� et non par rapport � la Personne, notion que l'on ne trouve jamais sous sa plume.

Par des voies aussi multiples que vari�es, l'�lite du catholicisme fran�ais, soucieuse d'apporter sa pierre � la restauration d' une Soci�t� �branl�e par onze r�volutions en moins d'un si�cle, s'impr�gna de ces th�ories : le comte Albert de Mun a lu Auguste Comte; au d�but du XX�me si�cle, les jeunes catholiques s'enflamment � la lecture des romans sociaux de George Fonsegrive (1854-1917), vulgarisateur d'un n�o saint-simonisme, ou de ceux de Paul Bourget (1862-1935), un disciple de Fr�d�ric Le Play qui fut s�duit aussi par le n�o proudhonisme de Georges Sorel (1847-1922) .

Cette influence se traduit par une vision sociale des dogmes qui est d'autant mieux accept�e qu'elle a perdu le caract�re abrupt des jugements d'Enfantin. Le Play les fit admettre par la bourgeoisie catholique. Il arrive � minorer avec urbanit� la valeur des dogmes, tout en se gardant de circonscrire la sph�re du religieux � la sph�re sociale :

- Il ne s'agit plus seulement d'insister sur le dogme et d'affirmer, par des discours ou par des �crits, la sup�riorit� du principe; il faut encore rendre cette sup�riorit� manifeste par des actes et par la coop�ration au progr�s moral des soci�t�s. Assur�ment, ce serait abaisser la religion que de lui assigner pour fin principale le bien-�tre temporel des croyants (�) Les catholiques, qui dans ces derniers temps ont appliqu� toutes les forces de leur intelligence � combattre les protestants, auraient pu faire un plus utile emploi de leurs talents et de leur science � . Le fond de la pens�e est une adaptation de cette impr�cation d'Enfantin �crivant en 1831 : � nous dirons que les catholiques gallicans ou jans�nistes, ultramontains ou j�suites, que les protestants luth�riens ou calvinistes, sociniens, �piscopaux ou presbyt�riens, ind�pendants, quakers, m�thodistes, etc., etc., n'ont pour point de ralliement que des dogmes tellement insignifiants � leurs propres yeux, malgr� le prix qu'ils y semblent y mettre, que les diff�rences qui existent entre ces dogmes, diff�rences qui les s�parent compl�tement dans leurs pratiques religieuses, n'en introduisent aucune dans leur conduite individuelle ou politique � .

Minoration du dogme dont on trouve la trace dans les romans sociaux de George Fonsegrive. La notion de p�ch� originel est d�valu�e par cet auteur soucieux de cr�er une d�mocratie qui ne soit pas frapp�e au coin du paternalisme inscrit dans une tradition fig�e du l�gitimisme de la tradition populaire .

L'apolog�tique fut, elle aussi, profond�ment marqu�e par la r�v�lation du Nouveau Christianisme. Celui-ci donne une explication g�n�rale de l'histoire du catholicisme en des termes qui montrent combien celle-ci est d�termin�e par les conditions mat�rielles: d�s l'introduction de la � Bible � saint-simonienne, il est possible de cueillir cette affirmation : � nous qui pr�tendons que l'unit� papale n'a fait na�tre l'opposition protestante que parce que le catholicisme ne comprenait pas en lui tous les modes de l'activit� humaine, et d��tayer, dans les longs d�veloppements, cette th�se � historique � : Si le christianisme n'a pas pu parvenir � s'emparer exclusivement de la direction sociale, c'est que son dogme �tait incomplet; c'est qu'il n'avait point compris la mani�re d'�tre mat�rielle de l'existence de l'homme, ou ne l'avait comprise, au moins, que pour la frapper d'anath�me � . Forts de cet a priori, les apologistes du d�but du XX�me si�cle, George Fonsegrive et Maurice Blondel (1861-1949), ont r�cus� toutes les d�fenses et illustrations de la foi catholique fond�es sur une d�duction �tablie � partir des V�rit�s r�v�l�es, au pr�texte que � Dans l'�tat pr�sent des esprits, le lien �conomique est le plus solide des liens sociaux � et que la r�alit� sociale ne peut se d�duire de la R�v�lation.

Dans la mesure o� les �coles positivistes cherchent � �tre fid�les au catholicisme, c'est avec l'arri�re pens�e de l'utiliser pour le maintien de la coh�sion sociale. Charles Maurras (1862-1952) se veut d'autant plus thomiste qu'il interpr�te la pens�e du Docteur ang�lique dans le sens de la suj�tion n�cessaire de l'individu au groupe, imitant en cela Auguste Comte . Un m�me souci social anime la d�mocratie chr�tienne dont les racines les plus anciennes puisent dans les th�ories de Maistre et Bonald. Quand les fondateurs du Parti D�mocrate Populaire font du professeur de droit Maurice Hauriou (1856-1929) leur mentor, ils sont en qu�te d'une doctrine juridique qui permette � la Soci�t� de vivre et de durer et qui ne repose pas exclusivement sur la morale personnelle classique. Se voulant, selon la tradition saint-simonienne, dans le juste milieu entre l'individualisme lib�ral et le sociologisme excessif de L�on Duguit (1859-1928) ou de Charles Maurras, ils voient, dans sa th�orie de l'Institution, une interpr�tation de la vie collective qui r�cuse l'individualisme de Rousseau et qui place la volont� individuelle comme source unique du droit. Cette volont� individuelle est frapp�e au coin du lib�ralisme, qui la con�oit comme le reflet de la volont� collective; elle ne trouve plus son principe dans la notion de droit naturel. La tradition contre r�volutionnaire le refuse depuis les th�ories de Bonald . Cette th�orie du droit, qui est d'inspiration positiviste de l�aveu m�me de Maurice Hauriou, conduit d'une fa�on douce mais ferme � la pr�dominance du groupe sur la personne. Ainsi en fut-il pour le droit de propri�t� qui, sous l'impulsion du M.R.P., cessa, en 1948, d'�tre un droit personnel pour devenir un droit social, justifi� par une lecture rapide de la th�ologie de Thomas d'Aquin non reconnue en son temps par l'�piscopat fran�ais . Ainsi en est-il, de nos jours, des projets de dividende universel du Forum des R�publicains Sociaux qui accr�dite l'id�e d'un revenu minimum du berceau � la tombe, en le s�parant de la notion de travail. Or le droit au travail rel�ve de la justice distributive car le travail a une dimension humaine qui va au-del� du profit engendr� par lui .

L�usage social du catholicisme a marqu� durablement sa liturgie r�nov�e � la suite du concile de Vatican II. Le symbole de Nic�e contient ces mots latins : � Credo in unum Deum [�] et unam, sanctam, catholicam et apostolicam Ecclesiam �. La traduction grammaticalement correcte serait : � Je crois en un seul Dieu [�] et [je crois] l��glise une, sainte, catholique et apostolique �. La traduction propos� en 1947 est: � [Je crois] � l��glise une, sainte catholique et apostolique � En 1975, la traduction officielle de ce m�me texte est la suivante : � [Je crois] en l��glise une, sainte, catholique et apostolique � . L�adjonction des deux pr�positions vise � renforcer progressivement la suj�tion du fid�le � l�autorit� eccl�siale. Ces traductions accordent une autorit� magist�rielle � l��glise visible que le texte primitif du symbole de Nic�e (325) ne peut justifier. Derri�re ces faux sens se tapit la crainte de la s�dition de l�individu contre l�esp�ce que le juda�sme et le catholicisme portent en eux d�s l�origine. En effet, les cosmog�n�ses babyloniennes expliquent la cr�ation de l�humanit� par la volont� des dieux d��tablir entre eux la paix en se d�chargeant sur les hommes des durs labeurs qui furent causes de leur discorde . A l�oppos�e, la cosmog�n�se jud�o-chr�tienne place un Dieu personnel � l�origine de la cr�ation de la personne humaine faite � l�image de son Cr�ateur qui ne le fa�onna point pour le suppl�er dans des travaux ingrats . Le passage de l�Impersonnel au Personnel, du tout indiff�renci� au particulier bien d�fini induit une vision du monde contradictoire avec celle du monde babylonien antique.

La d�naturation du catholicisme fran�ais en religion politique, sur une dur�e de deux si�cles, tient � la Grande Peur suscit�e par la R�volution fran�aise : celle de l�effondrement de la Soci�t� et de l�arr�t toute am�lioration des conditions de vie. Des courants d�opinion dans le catholicisme fran�ais, n�s de la pens�e contre r�volutionnaire et/ou de la pens�e r�organisatrice, ont cherch� � apporter leur pierre � la construction d�une nouvelle soci�t�. Pour ce faire, acceptant de voir dans la Grande R�volution un signe providentiel fond� sur des pens�es chr�tiennes �comme le pensait Buchez �, ces courants entendent r�pondre au dilemme pos� par le sociologue �mile Durkheim (1859-1917) que r�sume cette formule lapidaire : � Dieu ou la Soci�t� � par celui-ci : � Dieu et la Soci�t� �. A cette fin, ces courants, qui se retrouvent autour de revues ou d�hebdomadaires comme Sept, L�Aube, Temps Pr�sent, La Vie Catholique, T�moignage Chr�tien, tendent � conserver l�id�e de Personne en lui donnant une d�finition intra mondaine inspir� de la dialectique proudhonienne des antinomies irr�ductibles. La prise de conscience d��tre une Personne r�sulterait de la tension naturelle existant entre l�individu et son groupe social .

Cette vision du monde minore la port�e civilisatrice du premier livre de la Gen�se d�une part. Elle ne peut tol�rer, d�autre part, la moindre critique �manant de l��glise enseignante tant avant qu�apr�s la Seconde Guerre mondiale. Pour ce motif, ces courants amoindrissent l�autorit� �piscopale par le moyen de � mythes � historiques. Ils inventent son manque de discernement politique .

Recibido el 2 de diciembre de 2010, corregido del 15 al 18 de diciembre de 2010 y aceptado el 9 de enero de 2011.



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